Elle est une onde vibrant à la surface de mon être comme le son clair chanté par le verre de cristal, un son pur touchant l’âme et l’esprit de l’homme en paix assis bien sagement le matin sur le bord de son lit. Un homme qui attend le bon moment de se lever, de se mettre en mouvement, de rentrer joyeusement dans sa vie et de partir à l’aventure. Une vie longue et belle, simple et paisible comme une douce soirée d’été qui enveloppe de son voile de gaîté l’âme des amours éphémères…
« L’amour s’en va comme cette eau courante. L’amour s’en va. Comme la vie est lente et comme l’espérance est violente. Vienne la nuit sonne l’heure. Les jours s’en vont, je demeure… » (Guillaume Apollinaire)
…Elle est une onde dans l’eau quand il pleut à grosses gouttes sur mon cœur, sur mes joues, les jours d’orage, les soirs d’ennui, les nuits d’oubli, de rage et de désespoir ; les matins de tristesses, de spleen, et de gravité quand je tombe, tombe, tombe de haut, de très haut et que je me rétame la gueule la première sur le goudron, sur la noirceur hypocrite qu’un vieux pote a laissé traîner… Quand il pleut à grosses gouttes, une par une, l’une après l’autre, l’une sur l’autre, en s’écrasant en de petits plouf plouf plouf plouf très réguliers dans le bac de ma douche comme pour me tenir en alerte parce que je ne vais pas bien, parce que je me sens mal et que je ne sais comment faire pour arrêter ce cauchemar. Quand il pleut à grosses gouttes…, quand il pleut à grosses gouttes par une chaude journée d’été sur mon corps ruisselant, les cheveux trempés, dégoulinants mais heureux d’être en vie, de sentir le contact apaisant de cette eau tiède et céleste sur ma peau asséchée, tarie par l’amertume de certains goûts amers dans le fond de ma gorge.
Elle est une onde dans l’iris vert-marron de cette belle femme quand son fils la regarde, elle, sa mère, sa maman – la plus belle du monde – avec amour, candeur, vénération et qu’il voit plein de petites lumières mouillées dans ses yeux scintillant de mille feux, qui hurlent mille douleurs pendant mille nuits, en silence. En silence ! En silence, car le silence est d’or, dit-on. En silence ! En silence parce que le silence est une onde qui se propage dans l’invisible emmenant avec lui toutes les peines, tous les chagrins, tous les crimes. En silence pour ne pas l’effrayer ce petit garçon, ce petit bonhomme parce que sa peine à elle n’est pas sa peine à lui, parce que sa vie n’est pas sa vie, que son histoire n’est pas son histoire et parce que son fardeau n’est pas son fardeau… Pourtant, malgré tout, lui aussi ploie un peu sous ce faix qu’ils ne devraient pas porter, sous ce faix qui le défait, même si pour l’instant il n’en est pas encore conscient. Il est encore trop jeune pour cela. Le temps viendra, le temps passera son chemin en emportant sur ses épaules ce fardeau de contrebande.
Elle est cette onde de chagrin perdue à la surface d’un verre de vin qui jamais ne s’éteint lorsqu’elle atteint le bord, qui toujours revient comme un boomerang et me heurte de plein fouet, qui toujours m’étreint et me gifle quand j’aperçois dans ses yeux toutes ces petites étoiles mouillées, éclaboussées par une envie d’en finir, de partir seule, très loin, de tout quitter, même la vie. In vino veritas !
Elle est cette onde de vin qui alors la submerge de toute sa puissance, de toute son ivresse, de toute sa force tannique qui lui violace les dents et les lèvres jusque dans son sommeil le plus profond, même quand le repos du guerrier est bien mérité. In vino veritas !
Elle est cette onde de chagrin qui lui tend et lui prend délicatement la main le lendemain quand tout est clair devant le miroir, quand le ciel est bleu au-dehors, par-delà les murs de sa maison, en dehors de sa prison, bien au-delà de l’horizon, là où tout se rencontre, là où tout se réconcilie, là où une simple caresse passée dans ses cheveux suffit à l’apprivoiser. Mais il est bien trop tard depuis longtemps, depuis bien trop longtemps. Les amours sont mortes. In vino veritas !
Mais tout d’un coup, brusquement, elle serre les mâchoires de plus en plus fortement à s’en faire grincer les dents. L’envie – tenace – refait peu à peu surface. Elle devient pressante ! Urgente ! Impérieuse ! C’est bien plus fort qu’elle. Elle résiste quelques instants, quelques secondes, une éternité… Elle résiste tout ce qu’elle peut. Elle résiste et puis finalement, c’est toujours le même refrain. Elle dit qu’elle n’a qu’une vie, qu’elle est majeure, et qu’elle fait ce qu’elle veut. Après tout, c’est vrai, elle fait ce qu’elle veut. Elle a toujours fait ce qu’elle voulait, toujours ! Mais elle maintenant, elle veut simplement retrouver l’euphorie, la liberté, le bonheur d’un instant, cette superbe délivrance des chaînes du présent, de sa routine quotidienne, de son corps qui l’encombre, de son âme qui ne cesse de pleurer, apeurée. Elle veut vivre, crier – avec toute sa rage, le poing fermé – cette vie qui lui fait tant mal depuis si longtemps, qui ne la respecte pas, qui l’insulte, qui la malmène alors que elle n’a jamais rien demandé ni fait de mauvais. Mensonges ! Mensonges ! Mensonges ! Tout n’est que mensonges ! In vino dolores !
Vivre enfin ! et s’affranchir de tout. Vivre, s’affranchir un moment d’un mari qui la juge. Vivre et s’affranchir d’un mari qui est toujours derrière elle à compter le nombre de canons qu’elle s’enfile, à la poursuivre toujours énervé, irrité qu’elle se noie dans un verre d’eau, qu’elle se noie…, qu’elle se noie chaque jour un peu plus. Mensonges ! Mensonges ! Mensonges ! Tout n’est que mensonge dans la bouche de celle qui a fait du vin sa religion. In vino dolores ! Souffrance pour les autres !
Vivre, s’affranchir de ses propres enfants que pourtant elle dit adorer plus que tout – au premier amant venu. Elle le sait dans ses tripes, elle mourrait pour eux. Hélas ! Si seulement ! Tout serait terminé. Mensonges ! Mensonges ! Mensonges ! Tout n’est que mensonge dans la bouche de celle qui a fait du vin sa religion. In vino dolores ! Souffrance pour les autres !
Souvent, elle se sent trop lasse pour cette vie de famille. Travailler, rentrer à la maison, nettoyer, faire les poussières, préparer le repas, aider les enfants pour leurs devoirs, les coucher, aspirer, laver le sol, le linge, le repasser. C’est trop ! Elle veut prendre ses jambes à son cou , fuir et peut-être revenir plus tard, sortir de cette coquille qui l’étouffe. Cette vie n’est pas ce dont elle avait rêvé étant petite. Elle l’attend encore son prince charmant, elle l’espère.
– « Il ne viendra pas ma sœur Anne, tu ne le verras pas venir. Anne ma sœur Anne, ici, point de prince charmant, point de galant, que des amants ! »
Alors, sa main se referme sur un autre verre sans attraper la mienne. C’est déjà trop tard pour aujourd’hui. On est déjà le soir, le matin a cédé sa place à la journée, la journée, la sienne aux démons, et elle, elle meurt à petit feu parce qu’elle se croit toute-puissante. Et elle, elle crève jour après jour parce qu’elle fait ce qu’elle veut ; et elle fait crever les autres parce qu’en fait, elle s’en fout des autres. Rien ne compte excepté elle-même – parfois, il n’y a plus rien d’humain en l’Homme. Elle n’est qu’apparence, trouble de l’esprit, plan cul et bouteilles de vin rouge. In vino libertas ! Hélas !
« Passent les jours et passent les semaines, ni temps passé, ni les amours reviennent. Sous le pont Mirabeau coule la seine. Vienne la nuit sonne l’heure. Les jours s’en vont je demeure… » (Guillaume Apollinaire)
Elle n’est plus qu’une onde sur un verre de vin rouge, un mensonge dans le fond d’une bouteille…
In vino veritas !
In vino dolores !
In vino libertas ! Hélas !
In vino dolores ! Souffrance pour les autres !
Bon jour »
Je retiens : » un mensonge dans le fond d’une bouteille… »et la lie comme vie …
Max-Louis
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Merci Max-Louis…
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Terrible… dans tous les sens du terme, superbe texte !
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