Un vendredi matin de janvier, métro ligne D, dans le sens Vénissieux– Gare de Vaise.
Cette nuit, il a fait froid sur la ville et sa banlieue. La température est encore légèrement négative, le mercure affiche – 1° Celsius tandis que le soleil peine à se lever et à se libérer de l’étreinte de la brume. Il fait froid, certes ! mais ce n’est pas le froid hivernal que l’on connaît au Canada ni sur l’île de Saint-Pierre-et-Miquelon au sud de Terre-Neuve. Et quand un petit vent sec et frisquet se lève, ça vous chatouille tout de même le bout du nez et vous glace le bout des doigts. Au petit matin, il faudra bien penser à mettre ses mains – réchauffées par la chaleur d’une nuit sous la couette – dans le fond des poches de son manteau ou de son blouson avant d’affronter cet air de janvier au plus haut de sa forme.
La bouche du métro – station Grange-Blanche – absorbe par dizaines tous ces travailleurs du matin emmitouflés dans leur anorak, parka et autres manteaux d’hiver. Leurs pas pressés font claquer leurs talons sur un sol déjà bien éreinté par tant d’années de bons et loyaux services. Le regard est fuyant et montre une réelle volonté d’éviter toute relation interpersonnelle. De toutes les façons, on n’a pas le temps pour cela, il faut aller droit au but, le plus rapidement possible et prendre son poste de travail. Un téléphone dans la main droite, une serviette ou sac dans l’autre, un casque bluetooth sur les oreilles : ouf ! On peut rester encore pour quelques instants avec soi-même et savourer les derniers moments de liberté avant d’aller pointer.
La rame du métro est bondée. Les personnes se serrent épaule contre épaule tout en essayant de ne pas toucher l’autre, de ne pas respirer les miasmes de l’autre, de ne pas partager sa vie ou son intimité. Et comme si tout cela n’était pas suffisant, il y a toujours deux ou trois trottinettes pliables qui viennent renforcer cette impression d’étouffer dans un espace devenu trop étroit. Un espace étroit qui prend des allures de Cour des miracles quand cette habituelle mendiante handicapée marchant à quatre pattes à l’aide de ses deux mains et de ses genoux quémande un euros ou deux à chaque passager. La recette sera maigre, la mendicité professionnelle paye de moins en moins. Peut-être s’habitue-t-on à tout ?
A chaque arrêt, une nuée de personnes montent dans le wagon mais peu en descendent, et ceci jusqu’à la station Saxe-Gambetta puis celle de Bellecour où beaucoup retrouveront enfin l’air froid de la ville et un pavé très humide. En attendant, il faut éviter de trop bouger et s’armer de patience. Chacun demeure dans ses pensées, loin de cette réalité des transports matinaux, espérant ainsi échapper à une nouvelle journée de labeur. Seules les voix de deux lycéens d’environ seize ans, le sourire aux lèvres, se font entendre joyeusement. Ils sont débordants d’énergie, de vitalité avec leurs jeans aux ourlets surmontant une paire de basket, leurs vestes colorées, leurs discussions accompagnées par des mouvements de mains venant en appui d’un argument, d’une bonne blague ou d’éclats de rire à peine étouffés…
Dans ce métro, il y a deux mondes qui se côtoient. Il y a celui des silencieux qui s’en vont retrouver le monde « sérieux » des grands, du travail, des employés de bureau… et celui des optimistes du matin qui s’en retournent sur les bancs du lycée ou de la fac. En observant de près ces deux lycéens à la façon d’un ethnographe « urbain », en tendant l’oreille afin de mieux pénétrer leur univers, je m’aperçois qu’il y a quelque chose en moi de familier qui essaie de me parler, de remonter à la surface, de se faire entendre et de me prendre par la main afin de me montrer un sentier recouvert depuis longtemps déjà par les herbes sauvages… Plus je les observe plus mon esprit sort de sa torpeur matinale et semble recouvrer une âme depuis longtemps ensevelie par le temps des cheveux grisonnants. C’est un appel, celle d’une voix plus douce et vivante appartenant à une autre époque qui vient subitement percer la carapace de l’oubli.
Putain ! j’avais oublié ! J’avais oublié ce que j’avais en moi, ce que je m’étais promis de ne jamais perdre sur le chemin des années, mon âme de gamin. Alors ce matin, les yeux brillants et le sourire aux lèvres en sortant de la bouche du métro, je marche paisiblement et « je m’en vais, au vent des souvenirs, qui m’emporte, deçà, delà, pareil » à un flocon de neige retrouver enfin la gaîté et l’insouciance des temps anciens avant qu’aujourd’hui ne me rattrape.
❤ Au mois d’octobre j'ai passé pas mal de temps dans des bus bondés de lycéens … et j’ai adoré ça … bien que souvent j'ai pu entrevoir que la grisaille enserrait déjà le cœur de certains. Il est primordial de rester s'entourer de gens plus jeunes que nous et de les aimer très fort ( ils en ont vraiment besoin) … cela nous permet aussi , comme vous le soulignez avec force de ne pas oublier. A votre superbe morceau de musique je répondrai par un tout autre style " Forever young" … Très bon aujourd'hui
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Je vous remercie de vos mots. Alors, restons jeunes. Merci de rappeler ce bon morceau des Alphaville. C’est toute une époque. ..
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Verlaine, et je m’en vais au vent mauvais qui m’emporte, deça delà pareil à la fueille morte.
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Oui, j’ai détourné ces vers.
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Oups, parti trop vite !
J’espère ne jamais perdre mon regard d’enfant ! 😉
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Bon après-midi et merci 😆
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La nostalgie ou l’amnésie d’une jeunesse passée, délavée, comme une paire de jeans trouée. C’est ton leitmotiv ces derniers temps on dirait. Merci pour cette prose teintée de poésie sur un ton de « oups, j’ai oublié mes clés sur la porte aujourd’hui ! ». Aussitôt oubliée, aussitôt retrouvée, jeunesse jeunesse, que le temps a passé.
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Oui peut-être un peu trop de nostalgie mais difficile pour moi parfois de faire autrement. J’aime beaucoup ta phrase sur une jeunesse passée, délavée, comme une paire de jeans trouée. Ça me va très bien.
Merci et excellente soirée 😊
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Je t’en prie, bonne journée 🙂
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Merci
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depuis que j’ai lu ton article et que j’y ai répondu, j’ai toujours cette chanson qui m’colle encore au cœur et au corps… https://www.youtube.com/watch?v=W4Bbw08iJPE
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Oui, et elle va te rester coller pendant très longtemps. J’adore ce morceau de Voulzy.
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il faudrait tenter l’expérience tokyoïte (mais pas avec des nouilles!):
http://www.larepubliquedespyrenees.fr/2019/01/21/des-nouilles-pour-les-leve-tot-tokyo-veut-des-metros-moins-bondes,2507272.php
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Il paraît que c’est un imbroglio de lignes… mais tout le monde est à l’heure.
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Merci Ibonobo. C’est un joli rappel, un de ceux qu’il nous faut pas perdre de vue. Je crois qu’il n’est jamais loin ce temps-là, c’est nous qui décidons de nous éloigner de l’insouciance et de la gaîté, non le temps qui passe et les cheveux qui blanchissent 🙂
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Je crois qu’en effet, c’est nous qui oublions à un moment donné l’histoire du chemin parcouru, ce que nous sommes et ce qu’il y a en nous, notre âme, notre gaîté…
J’apprécie votre bienveillance. 😊
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une journée très bien commencée ! si aujourd’hui vous a rattrapé c’est que demain arrive 😉
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Demain arrive et ça c’est très bien… mais pas trop vite. Sinon, cela me donne le vertige 😊
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Beau texte… Et la ligne D, ça me connaît ! 🙂
Merci !
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Merci Kilda. Votre commentaire me fait sourire donc un double merci pour la bonne humeur. A très bientôt.😆
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🙂
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Habituellement, je vais directement lire le texte, et en oublie parfois voire souvent la musique ! Cette fois-ci j’ai commencé par la musique et c’est ma foi une très belle découverte : légère, aérienne de son ciel constellé d’étoiles scintillant de mille feux, j’aime beaucoup son atmosphère ouverte, joyeuse, optimiste. Ensuite, je suis rentrée à reculons dans ce métro bondé, très familier, surtout aux heures de pointe ou pendant les grandes grèves ! Une fois dans la rame, j’ai accédé avec beaucoup de mal à la barre métallique encombrée de mains de toutes tailles. Certains passagers s’y accrochent des deux mains privant du coup les autres mains bien embarrassées de place, et faute de place justement, eh bien c’est aux gens qu’on s’agrippe quand le métro freine sans crier gare, et ça arrive souvent ! Certains sont compréhensifs et sourient, d’autres le sont moins et vous disputent… Heureusement qu’il y a ces petits jeunes pleins de vitalité, d’insouciance, et de rêves qui nous distraient l’espace du trajet du confinement et des affres de ce métro. Et ô bonheur suprême, on arrive à Bellecour pressé d’être à l’air libre, d’absorber une grosse lampée d’air, même froid ! La tête plonge dans ses propres rêves alimentés par ceux des jeunes, le cœur s’abandonne léger et palpitant de vie, les souvenirs affluent le sourire aux lèvres, le pas devient plus léger, les yeux brillent de rires… on est bien… le métro est loin, très loin… Merci Ibonoco pour ces instants buissonniers, ces chemins de traverse vers l’enfant qui nous attend…
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Vous décrivez parfaitement l’ambiance dans une rame de métro.
En effet, heureusement qu’il y a ces jeunes, gais, de l’espoir pleins les yeux, pour redonner un peu de beauté à tous ces matins.
Quant à la musique, c’est un très bon morceau d’Iggy Pop qui date je crois de la fin des années 70.
Excellente soirée et à tes bientôt.
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Très bonne soirée aussi Ibonoco.
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Mercei…
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Que j’♥ ce vendredi matin de janvier et son retour sur le chemin des jeunes années !!!
Bonne fin de soirée et merci du magnifique partage !
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Merci Colette. Votre bienveillance me touche. Excellente journée.
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Kindly return the follow sir.
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Cette épopée contemporique qui papote en toute impunité palpe mes papilles panoramiques avec une piété sympathique.
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Je suis heureux d’avoir palpé tes papilles panoramiques. Et j’apprécie également ta manière sympathique de l’exprimer.
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