III.
UNE VISION MEMORABLE
Comme je marchais au milieu des feux de
l’Enfer, enchanté des plaisirs du génie (que
des anges tiennent pour tourment et folie),
je recueillis certains de leurs proverbes,
avec l’idée que, de même que les dictons
en usage dans une nation témoignent de
son caractère, de même les proverbes
de l’Enfer montrent la nature de la sagesse
Infernale mieux qu’aucune description
d’édifices ou de costumes.
En rentrant chez moi, sur l’abîme des cinq sens,
à l’endroit où un précipice aux flancs lisses
jette sur le monde un regard sourcil-
leux, je vis un puissant démon drapé de nuages
noirs qui planait sur les parois du rocher.
De ses flammes corrosives, il écrivit la sen-
tence suivante, désormais perceptible à l’esprit
des hommes, et lue par eux sur la terre :
Comment ignores-tu que le moindre oiseau
qui fend la voie des airs
Est un monde de joie immense, enclos par
tes cinq sens ?
William Blake (1757-1827), UNE VISION MEMORABLE in Le Mariage du ciel et de l’Enfer gravé puis peint entre 1790-1794. La première traduction française de The Marriage of Heaven and Hell n’aura lieu qu’en 1900.