Où est passé le petit garçon ?

Tandem années 70

Je pars à sa recherche… Je cours dans tous les sens, affolé. Je tremble : j’ai peur… Paniqué, je regarde rapidement à droite, puis à gauche : je ne vois rien, juste le vide, un vide noir et froid, glaçant. Je ne vois rien ! Il s’est envolé, évanoui mais je le cherche encore et encore. Mais où est donc passé l’enfant ? J’avais pourtant promis que je ne le quitterais pas des yeux, que jamais je ne le perdrais. J’avais fait le serment de ne jamais m’éloigner de lui, de toujours veiller sur son destin, d’être présent à chacun de ses pas, de ses anniversaires. J’avais promis, juré ! Certaines promesses sont apparemment très difficiles à tenir car je l’ai perdu, je l’ai perdu depuis fort longtemps et je ne m’en suis même pas rendu compte. J’ai même fini par totalement l’oublier. Les nuits, les unes après les autres comme des vaguelettes s’échouant sur le sable, l’ont effacé de mes souvenirs. Et les jours ont passé – furtifs comme des songes – les uns après les autres et lavé ma mémoire du moindre souvenir de son aspect, de sa présence, de sa chaleur ou même de son innocence.

Alors, je pars à sa recherche. Je m’assieds, je me calme, je respire enfin plus lentement. Ça va mieux, bien mieux. En moi, je commence à entendre le silence. Et il me semble qu’au bout de quelques instants tout disparaît autour de moi pour laisser place à un grand écran de cinéma sur lequel des images apparaissent pêle-mêle, se mélangent pour raconter une histoire sans chronologie, sans début ni fin. Je me concentre sur les scènes et j’aperçois l’enfant assis sagement sur son banc de bois, ses stylos et crayons bien rangés près de l’encrier, croisant et décroisant sans cesse ses jambes en attendant l’heure de la récréation. A présent, je reconnais cet instituteur sévère en blouse grise, les cheveux coupés courts style militaire, les yeux gris, des lunettes en métal posées sur son nez aux carreaux épais. Après avoir fait venir l’écolier à son bureau et avoir retiré son alliance afin de ne pas laisser de traces sur cet épiderme encore souple mais rosi par la honte, il lui distribue généreusement une paire de gifles éducatives devant tous ses camarades. Une fois la baffe administrée, le gamin s’en retourne alors tout penaud à sa petite place en serrant le poing, les joues toutes chaudes, portant encore l’empreinte des mains de son bourreau tout en se retenant de pleurer au milieu des moqueries de ses copains…

Je reste assis, bien assis et accroché au fauteuil. Ma respiration suit maintenant le rythme du flot des images qui se poussent les unes les autres pour figurer en haut de l’affiche. Et lui, il est là, bien là, sur l’écran. Il est ce petit garçon rêveur, les cheveux balayés par un vent léger, le visage réchauffé par ce doux soleil d ‘octobre et s’imprégnant pour la vie de ce parfum d’automne. Alors qu’il s’apprête à rejoindre ses copains en bas de chez lui, il regarde du haut des marches de son immeuble, droit devant lui, avec une joie indicible et toute enfantine, les terrains de jeu devant lui. Il inspire fortement deux ou trois fois à pleins poumons comme pour garder en lui cet instant, comme s’il savait su que tout cela ne durerait pas toute la vie. Puis, après l’avoir capturé dans ses alvéoles pulmonaires et avoir imprimé sa mémoire argentique de l’univers qui s’offre à lui, il dévale les marches quatre à quatre pour aller se fondre dans l’insouciance de l’enfance parmi les autres petites têtes emplies de rêves et de gaîté…

Quelques images plus loin, le petit garçon est en bicyclette pédalant après les étincelles du destin portant son petit frère sur mon porte-bagages. Il doit avoir à peine huit ans. Tous deux traversent toute la ville – en cachette de leurs parents – afin d’acheter des pétards à mèches et des fusées pour le 14 juillet. Le magasin à atteindre – Le Hall de la Presse – est situé en bordure de la place du marché du dimanche matin. Dans leurs poches, ils ont réuni toutes leurs économies : la somme n’est pas élevée mais cela devrait suffire. A l’intérieur de ce commerce, on y trouve de tout : des maquettes d’avions et de chars à monter, des petits pots de peinture Heller pour maquettes, des Malabars à vingt centimes, des paquets de chewing-gum Hollywood à un franc vingt, des albums et figurines Panini, et les fameux précieux pétards et feux d’artifice. L’affaire est dans le sac, il leur faut rentrer. Mais il fait déjà très chaud en ce début d’après-midi pour les gamins du quartier. Un soleil de plomb sur des têtes de plomb ; un soleil de plomb sur des cerveaux en ébullition, et en route pour l’aventure à la recherche d’une boisson bien fraîche. Un Coca bien frais à la station service ELF ou BP du coin fera l’affaire… Ah ! Quelle invention – pour des gosses – que cette machine qui distribue des bouteilles de Coca en verre bien glacées…

J’ai retrouvé l’enfant, ce petit garçon que j’avais promis de protéger. Il est là tout près de moi, assis près de mon cœur. Il rêve. Il rêve de demain. Il rêve que demain sera beau pour toujours. On est à la période des cerises. Le garçon de dix ou douze ans monte à l’arbre pour ne faire qu’un avec lui, sentir le doux vent de juin lui caresser le visage tout en observant le monde d’en haut, de tout là-haut où « tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté ». Demain, il fera beau !

5 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Que répondre quand Jean de la Bruyère nous dit que les enfants n’ont ni passé ni avenir, et, ce qui ne nous arrive guère, ils jouissent du présent, ou quand André Malraux affirme lui que si l’enfant est souvent artiste, il n’est pas un artiste. Car son talent le possède, et lui ne le possède pas ?

    Je tente cette réponse pour dire que c’est une très belle quête pour retrouver l’enfant qui sommeille en soi et que l’on oublie souvent, et une rencontre pleine de fraîcheur, de poésie, de tendresse et surtout d’émotion, l’enfant c’est la spontanéité, la fraîcheur, l’étonnement, le ravissement, la simplicité, la sincérité et le rêve…

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    1. ibonoco dit :

      Ne sachant pas si mes réponses vous sont parvenues, je vois en adresse une autre via mon téléphone portable.
      « En effet, il s’agit bien d’une quête « pour retrouver l’enfant qui sommeille » en nous. C’est une quête pour ne pas oublier les racines de l’enfant, ses émotions, ses rêves… C’est une quête pour ne pas perdre son humanité trop souvent éprouvée par les années qui lui filent entre les doigts. Je vous remercie d’avoir pris le temps d’échanger avec moi. Je suis touché par vos propos qui éclairent mes propres lignes de façon très complémentaire.
      Merci

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      1. Tout le plaisir est pour moi d’évoquer cet enfant aussi fragile que l’émotion qu’il suscite. Et je n’ai pas reçu d’autres réponses que celle-ci que je viens de voir, et je vous en remercie.

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        1. ibonoco dit :

          Bonne fin de journée.
          😊

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        2. Merci, Bonne fin de journée à vous.

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