Ce que la ville murmure
The Christal Ship – The Doors
1. Le matin qui hésite
Tu te lèves sans te lever vraiment.
Le corps avance, mais l’esprit reste là-bas, englué dans un rêve qui refuse de mourir.
Tu ouvres la fenêtre : l’air mord les joues, vif, honnête, presque neuf.
Chaque matin est une naissance non désirée — une renaissance par défaut.
Et pourtant, tu respires. C’est déjà beaucoup.
2. Ce que la ville retient
Sous les pavés, il y a tes pas d’autrefois.
Ils dorment, mais ne s’effacent pas.
Les murs ont tout vu : la sueur, les promesses, les départs à la hâte.
Les rues ne pardonnent ni n’oublient — elles enregistrent.
Tu marches dessus comme sur ta propre mémoire,
craignant d’y réveiller un écho que tu n’assumes plus.
3. Le café de onze heures
Tu commandes un café, sans faim ni foi.
La vapeur s’élève, lente, comme un fantôme familier.
Tu la regardes se tordre, s’évaporer, disparaître.
Autour de toi, les gens parlent fort, croient exister à coups de phrases toutes faites.
Tu les envies.
Tu aimerais, toi aussi, remplir l’air de mots creux, juste pour sentir qu’il te répond.
4. La lumière des façades
La lumière glisse sur les façades du Vieux Lyon,
caresse les pierres comme une main d’ange sur un visage de vieil homme.
Elle s’attarde un instant sur un balcon rouillé,
puis s’en va bénir un autre siècle.
Tu te dis que le soleil, lui, n’a jamais douté de sa mission :
réchauffer sans choisir.
5. L’ombre du fleuve
Le Rhône roule ses humeurs, vaste, patient, indifférent.
Il avale tout : la nuit, les papiers gras, les remords des hommes pressés.
Tu t’y vois comme dans un miroir trouble.
Même courant, même fatigue, même entêtement à continuer.
Guérir ? Non.
Juste couler, encore un peu, pour voir où ça mène.
6. Tes vingt ans à contre-courant
Tu te rappelles les nuits sans peur, les pavés humides,
les rires fous, les baisers volés, les amitiés qui sentaient la bière et l’éternité.
Tu croyais mordre le monde à pleines dents.
Mais c’est lui qui t’a croqué — doucement, méthodiquement.
Aujourd’hui, tu souris :
il t’a laissé, au fond de la bouche, un goût d’ironie et de lucidité —
ce mélange amer qui t’empêche encore de dormir tranquille.
7. Le poème que tu n’écris pas
Il y a ce poème que tu portes comme un organe de trop.
Il bat, il pèse, il te suit.
Tu pourrais l’écrire — tu ne le feras pas.
Tu crains de le figer, de le trahir.
Alors tu le vis, tu le respires, tu l’entends parfois murmurer dans tes tempes.
Il est ton secret, ton fardeau, ton feu — et ton seul pardon.
8. La sortie du soir
Le jour recule, discret, sur la pointe des ombres.
Les lampadaires s’allument comme des prières tardives.
Tu marches, non pour aller quelque part,
mais pour retarder le moment de rentrer.
Chaque pas est une question sans réponse,
chaque silence un battement de cœur dans la nuit.
Tu crois chercher la paix —
tu poursuis seulement la musique de ton absence.
John Ibonoco est écrivain-blogueur, créateur de News from Ibonoco, un espace d’écriture où fragments, poèmes, notes et musiques dialoguent au fil des jours. Ses textes, courts et précis, tiennent le cap d’une parole directe : dire le quotidien sans l’amoindrir, faire place à l’émotion sans emphase, ouvrir des passages entre l’intime et le monde. Il publie en français et en anglais, joue des deux langues pour affiner rythme, image et respiration. Le blog se lit comme un carnet en mouvement : séries récurrentes, portraits, traductions, pièces originales, parfois accompagnés d’images et d’inédits. Objectif assumé : écrire pour éclairer, relier, transmettre — pour donner du sens à ce que nous vivons, ici et maintenant.
What the City Whispers
The Christal Ship – The Doors
1. The Hesitant Morning
You get up without really getting up.
The body moves, but the mind stays behind, stuck in a dream that refuses to die.
You open the window — the air bites, sharp, honest, almost new.
Every morning is a birth you never asked for — a reluctant rebirth.
And yet, you breathe. That’s already something.
2. What the City Keeps
Beneath the cobblestones lie your older steps.
They sleep, but they don’t fade.
The walls have seen it all — the sweat, the promises, the quick escapes.
Streets forgive nothing, forget nothing — they record.
You walk on them like you walk on your own memory,
afraid to wake up an echo you can no longer face.
3. The Eleven O’Clock Coffee
You order a coffee, without hunger or faith.
The steam rises slowly, like a familiar ghost.
You watch it twist, vanish, surrender.
Around you, people talk loud, as if noise could make them real.
You envy them.
You’d like, just once, to fill the air with empty words —
just to feel it talk back.
4. The Light on the Walls
Light slides over the old facades of Vieux Lyon,
touching the stones like an angel’s hand on an old man’s face.
It lingers on a rusted balcony,
then drifts away to bless another century.
You think the sun never doubted its purpose:
to warm without choosing sides.
5. The River’s Shadow
The Rhône keeps rolling — vast, patient, indifferent.
It swallows everything: night, paper scraps, the regrets of hurried men.
You see yourself in it, a blurred reflection.
Same current, same fatigue, same stubborn will to keep going.
Heal? No.
Just drift a little longer, to see where it leads.
6. Your Twenties, Against the Current
You remember the fearless nights, the slick cobblestones,
the wild laughter, the stolen kisses, the friendships tasting of beer and eternity.
You thought you were biting the world.
But it bit first — slow, deliberate.
Now you smile:
it left you with irony on your tongue, a trace of lucidity —
that bitter mix that still keeps you awake at night.
7. The Poem You Don’t Write
There’s this poem you carry like an extra organ.
It beats, it weighs, it follows you.
You could write it — you won’t.
You’re afraid to freeze it, to betray it.
So you live it, breathe it,
hear it whisper behind your temples.
It’s your secret, your burden, your fire — and your one forgiveness.
8. The Night Walk
Daylight retreats, quiet, on the tip of its shadows.
Streetlamps flare up like late prayers.
You walk — not to go anywhere,
but to delay the moment of returning.
Each step a question with no answer,
each silence a heartbeat in the dark.
You think you’re chasing peace —
you’re only following the rhythm of your own absence.
John Ibonoco is a writer-blogger and the creator of News from Ibonoco, a writing space where fragments, poems, notes, and music converse day by day. His texts—short and precise—hold to a direct voice: telling the everyday without diminishing it, giving room to emotion without excess, opening passages between the intimate and the world. He publishes in French and English, using both languages to refine rhythm, imagery, and cadence. The blog reads like a notebook in motion: recurring series, portraits, translations, original pieces, sometimes accompanied by images and previously unpublished work. The aim is clear: to write in order to shed light, to connect, to pass things on—so that what we live through, here and now, takes on meaning.
Ce que la ville murmure : superbe, John !!! Bon week-end ! Amitiés
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Bon week-end Colette. Amitiés
John
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