« Hiver 1996. Une nuit de pluie, trois ombres, et une vie qui vacille. L’histoire est vraie, même si le temps voudrait la taire. Les années passent, mais la mémoire, elle, reste debout — et le corps, lui, s’en souvient dans sa chair. Rappel qu’il faut encore se battre contre la violence et la lâcheté. »
La levée des ténèbres (v2)
Riders On The Storm – The Doors – Remix
Je les sentais venir. Depuis longtemps.
Ils rôdaient dans l’air, dans les fissures du ciel, dans ces vibrations étranges que seul le corps perçoit quand l’esprit, lui, dort encore.
J’avais déjà lu leurs signes — gravés dans les murs lépreux des quartiers, tagués sur le béton, suspendus dans la lumière blafarde d’un lampadaire solitaire.
On ne les voit que si l’on sait regarder.
Les autres passent à côté sans rien sentir, persuadés que la réalité se limite à ce qu’on peut toucher.
Moi, je sais qu’il y a plus.
Un monde parallèle, tapi juste derrière le voile de la pluie, où les choses murmurent ce qui va venir.
Alors quand cette impression m’a saisi — cette pesanteur dans la poitrine, cette rumeur qui gronde au fond du ventre — j’ai compris.
Quelque chose allait se produire.
Pas une coïncidence, pas un hasard.
Une rencontre.
Le genre de rendez-vous que personne ne souhaite, mais que le destin te colle dans la main sans prévenir — comme un ticket pour l’enfer.
Je les ai vus avant qu’ils ne me voient.
Trois ombres glissant sur les trottoirs humides, les cavaliers de l’apocalypse urbain — sans chevaux mais avec la même soif.
Des bêtes vêtues d’hommes, nourries d’alcool et d’ennui, prêtes à jouer leur partition sur la chair d’un inconnu.
Et moi, j’étais là, au mauvais endroit, au mauvais moment.
Mais peut-être pas par hasard.
La musique battait fort, les stroboscopes découpaient des visages en éclats.
Un club, de la sueur, des rires vides, un monde qui danse au bord de la chute.
J’étais dans la foule, à moitié absent, entre deux eaux.
Puis j’ai senti le froid sur ma nuque.
La tension dans l’air.
Et soudain, tout s’est tu.
Leurs yeux, comme deux fosses communes.
Leurs gestes, lents, précis, chorégraphiés par la violence.
Le piège venait de se refermer.
Le premier coup a éclaté comme un orage d’été.
Le sang, la lumière, la pluie — tout s’est mêlé dans une fusion brutale.
Le sol s’est rapproché, vite, trop vite.
Et là, sur le pavé tiède encore de la chaleur du jour, j’ai compris que c’était peut-être la fin.
Les cavaliers frappaient sans haine, sans joie — par pure nécessité.
Ils étaient les agents du chaos, les fonctionnaires de la mort, les zélés employés de Madame la Muerte.
Chaque coup était une signature, chaque impact un paragraphe dans le grand registre des disparitions.
Je me souviens du bruit sourd de ma tête contre la pierre.
Je me souviens du goût du sang — ferreux, chaud, presque rassurant dans sa réalité.
Ce goût métallique qui te ramène à ton humanité, au simple fait d’être vivant.
Je me souviens de mes mains plaquées au sol, de la pluie qui s’y mêlait, formant une rivière de boue et de douleur.
Et au milieu du vacarme, j’ai entendu la voix.
Une voix de femme. Tremblante, mais ferme.
La providence, sous la pluie.
Elle a hurlé — pas pour comprendre, pas pour juger — mais pour arrêter le carnage.
Un cri primitif, animal, humain.
Le genre de son qui réveille les consciences endormies et fait vaciller les certitudes.
Et les cavaliers, un instant, ont hésité.
Ils se sont figés, comme pétrifiés par ce cri venu briser le sort.
L’espace d’une seconde, le monde a retenu son souffle.
Puis, lentement, la machine s’est remise en marche.
Alors le temps a repris sa course.
Je n’étais plus mort.
Pas encore.
Je me suis relevé, tant bien que mal, bancal, le souffle coupé.
Chaque pas était une victoire arrachée au néant, chaque respiration une prière silencieuse.
Je longeais les murs de la ville, la main sur la plaie, le regard noyé de pluie et de sang mêlés.
Les lampadaires brillaient comme des cierges funéraires.
Je marchais parmi les ombres, mais je n’étais plus tout à fait des leurs.
Sous la pluie glacée, j’ai senti quelque chose renaître — un battement.
Faible, mais réel.
Le sang sur ma peau, les larmes, la pluie : tout se mélangeait, tout redevenait vivant dans cette alchimie de l’agonie et de la renaissance.
Et dans ce chaos humide, je me suis souvenu de ce que m’avait dit mon père :
« Quand c’est l’heure, c’est l’heure. »
Ce soir-là, l’heure a hésité.
Le sablier s’est arrêté.
Le temps a regardé ailleurs.
Je ne sais pas si c’est la voix, le hasard, ou un ange en gilet trempé qui m’a retenu par la manche.
Mais je sais une chose :
Les ténèbres peuvent se lever.
Elles se lèvent quand tu refuses de tomber.
Elles se lèvent quand, même à genoux, tu regardes encore le ciel.
Elles se lèvent quand, au fond du caniveau, tu entends ton cœur battre et que tu décides que ça suffit.
La levée des ténèbres, ce n’est pas le retour du jour.
C’est le retour de soi.
Le moment où tu réalises que la vie, malgré tout, t’a laissé une seconde chance.
Et que la mort, cette fois, s’est trompée d’adresse.
John Ibonoco est écrivain-blogueur, créateur de News from Ibonoco, un espace d’écriture où fragments, poèmes, notes et musiques dialoguent au fil des jours. Ses textes, courts et précis, tiennent le cap d’une parole directe : dire le quotidien sans l’amoindrir, faire place à l’émotion sans emphase, ouvrir des passages entre l’intime et le monde. Il publie en français et en anglais, joue des deux langues pour affiner rythme, image et respiration. Le blog se lit comme un carnet en mouvement : séries récurrentes, portraits, traductions, pièces originales, parfois accompagnés d’images et d’inédits. Objectif assumé : écrire pour éclairer, relier, transmettre — pour donner du sens à ce que nous vivons, ici et maintenant
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« Winter 1996. A night of rain, three shadows, and a life on the edge. The story is true, even if time would rather silence it. The years go by, but memory still stands — and the body, too, remembers, deep in its flesh. A reminder that we must keep fighting against senseless violence and cowardice »
The Lifting of the Darkness (V2)
Riders On The Storm – The Doors
I felt them coming. For a long time.
They prowled through the air, through the cracks in the sky, through those strange vibrations that only the body can sense when the mind is still asleep.
I had already read their signs — carved into the rotting walls of the city, sprayed across the concrete, hanging in the sick light of a lone streetlamp.
You only see them if you know how to look.
The others pass by without feeling a thing, convinced that reality ends where their fingers do.
But I know there’s more.
A parallel world, hiding just behind the veil of rain — where things whisper what’s about to happen.
So when that feeling grabbed me — that weight in the chest, that low growl deep in the gut — I knew.
Something was coming.
Not a coincidence, not random.
A meeting.
The kind of appointment no one asks for, but destiny slips into your hand anyway — like a one-way ticket to hell.
I saw them before they saw me.
Three shadows sliding down wet sidewalks — urban horsemen of the apocalypse, without horses but with the same thirst.
Beasts wearing human skin, drunk on boredom and cheap liquor, ready to play their symphony on someone else’s flesh.
And me — wrong place, wrong time.
But maybe not by accident.
The music was pounding, strobes slicing faces into shards.
A club full of sweat, hollow laughter, a world dancing on the edge of the fall.
I was there but half-gone, somewhere between two worlds.
Then I felt the cold on my neck.
The tension thickening in the air.
And suddenly — silence.
Their eyes, like open graves.
Their movements slow, precise, choreographed by violence.
The trap had just closed.
The first hit cracked like summer thunder.
Blood, light, and rain — all fused in one brutal collision.
The ground rushed up — fast, too fast.
And there, on the warm pavement still holding the day’s heat, I knew it might be the end.
They hit without hate, without joy — out of sheer necessity.
They were agents of chaos, clerks of death, civil servants of Lady Muerte herself.
Each blow a signature, each impact a paragraph in the great ledger of the disappeared.
I remember the dull thud of my skull on stone.
I remember the taste of blood — metallic, warm, almost comforting in its honesty.
That iron taste that reminds you you’re still alive, still human.
I remember my hands flat against the ground, the rain mixing with my own blood, forming a river of mud and pain.
And through the noise, I heard the voice.
A woman’s voice. Trembling, but firm.
Providence, in the rain.
She screamed — not to understand, not to judge — but to stop the slaughter.
A primal, animal, human cry.
The kind that shakes awake sleeping consciences and makes certainties tremble.
And the horsemen, for a heartbeat, hesitated.
They froze, petrified by that sound that shattered the curse.
For a single second, the world held its breath.
Then, slowly, the machine started again.
And time began to move once more.
I wasn’t dead.
Not yet.
I got up — barely, limping, breathless.
Each step a small victory torn from the void, each breath a silent prayer.
I walked along the walls of the city, my hand pressed to the wound, my eyes drowned in rain and blood.
The streetlights burned like funeral candles.
I moved among the shadows, but I wasn’t fully one of them anymore.
Under the freezing rain, something started to beat again — faint, but real.
Blood on my skin, tears, rain — everything mixed, everything alive again in that strange alchemy of agony and rebirth.
And in that wet chaos, I remembered what my father once told me:
“When it’s time, it’s time.”
That night, time hesitated.
The hourglass stopped.
Time looked away.
I don’t know if it was the voice, luck, or an angel in a soaked jacket who grabbed me by the sleeve —
but I know one thing:
Darkness can rise.
It rises when you refuse to fall.
It rises when, even on your knees, you still look up at the sky.
It rises when, down in the gutter, you hear your heart beating and decide it’s enough.
The lifting of the darkness isn’t the return of daylight.
It’s the return of yourself.
The moment you realize that life, despite everything, gave you one more chance —
and that death, this time, knocked on the wrong door.
John Ibonoco is a writer-blogger and the creator of News from Ibonoco, a writing space where fragments, poems, notes, and music converse day by day. His texts—short and precise—hold to a direct voice: telling the everyday without diminishing it, giving room to emotion without excess, opening passages between the intimate and the world. He publishes in French and English, using both languages to refine rhythm, imagery, and cadence. The blog reads like a notebook in motion: recurring series, portraits, translations, original pieces, sometimes accompanied by images and previously unpublished work. The aim is clear: to write in order to shed light, to connect, to pass things on—so that what we live through, here and now, takes on meaning.
John, your writing brings out the flesh and reality of a haunting scene. The background music from The Doors adds to the cadence . . . its endless until someone or something lifts the darkness. But one must be careful with the reality of light . . . can one handle the truth?
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It all depends on the intensity of the light we receive, and how it then spreads. But this story is based on a real event that happened to me almost 30 years ago. There was a before and an after.
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John, thank you for adding more light from your journey.
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Thank you, my friend, for the genuine attention you gave to my text and my story. It truly means a lot to me
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Bonjour John,
Un texte puissant et magnifiquement écrit. Cette seconde chance donne l’élan pour vivre pleinement chaque jour qui passe. Il faut la saisir.
Belle soirée et merci.
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Bonsoir Marie,
Merci d’avoir ressenti ce texte de cette façon. Cela fait presque 30 ans maintenant que je saisis la seconde chance que tu évoques, avec plus ou moins de succès mais je la saisis.
Belle soirée également Marie.
Amitiés
John
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