My Friend Elie

 

Élie

 

Mon ami
le petit Élie
juif
est mort à Paris
cet été
dans son lit
le petit Élie
n’était plus si petit
il avait mon âge
à peu près
je l’avais connu
en mille neuf cent quarante-quatre
nous avions trois ans
ou quatre
nous habitions
la même maison
moi au premier
lui au dernier
une seule pièce
sous les toits
une chambre de bonne
comme on disait
avec sa mère
et pas de père
sa mère qui était bonne
précisément
il m’avait dit
un jour dans la cour
où nous jouions
aux billes en terre
sans soucis
des rumeurs et des tremblements
de la ville au-dehors
il m’avait dit
tu sais je suis
juif
mais il ne faut le dire
à personne
juif je ne savais pas
ce que c’était
on n’en parlait pas
chez moi
ou alors à mots couverts
avec des drôles
de regards
mais pour faire plaisir
à mon ami Élie
je n’ai rien dit
à personne
surtout pas
à mes parents
qui sont morts
depuis longtemps
juif
j’ai appris plus tard
ce que c’était
quand j’ai grandi
quand j’ai appris
quand j’ai lu
quand on m’a dit
et Élie
comme moi a grandi
loin de cet hiver-là
loin de ce temps-là
d’Auschwitz et de
Treblinka
et puis
il a mené sa vis
jusqu’à sa mort
dans son lit
une vie ordinaire
qui ne vaut pas la peine
d’en faire une histoire
que j’écris quand même
ce soir
parce que
cet hiver-là
qui peut toujours
revenir
il ne faut pas
cesser
de s’en souvenir

Traduction approximative

Elijah

My friend
little Elijah
Jewish
died in Paris
this summer
in his bed
little Elijah
was no longer so small
he was my age
about
I had known him
in nineteen hundred and forty-four
we were three years old
or four
we lived in
the same house
me on the first floor
him to the last
one piece
under the rooftops
a maid’s room
as we used to say
with his mother
and no father.
his mother who was good
precisely
he had told me
one day in the courtyard
where we were playing
with clay balls
carefree
rumours and tremors
of the city outside
he had told me
You know, I’m a
Jewish
but you shouldn’t say it.
to no one
Jewish I didn’t know
what it was like
we didn’t talk about it.
at home
or with covered words
with funny people
of looks
but to please
to my friend Elijah
I didn’t say anything.
to no one
especially not
to my parents
who have died
for a long time
Jewish
I learned later
what it was like
when I grew up
when I learned that
when I read about
when I was told
and Elijah
as I grew up
far from that winter
far from that time
of Auschwitz and
Treblinka
and then
he led his screw
until his death
in his bed
an ordinary life
which is not worth it
to make it a story
that I still write
tonight
because
that winter
who can always
come back
you must not
stop
to remember it

 

Jean-Pierre Andrevon (né en 1937) in Obstinément des femmes des chats et des oiseaux, éditions Le pédalo ivre, collection poésie, Lyon, 2016, est un écrivain français de science-fiction et poète.

5 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Avatar de marie marie dit :

    Bonjour John quel beau poème, c’est poignant quand on n’y réfléchit , ne jamais oublier. Bisous bon après-midi MTH

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    1. Avatar de Ibonoco ibonoco dit :

      Bonjour Marie,
      Ne jamais oublier ! Ce sont en effet les mots.
      Bisous et bon dimanche
      John

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  2. Saisissant John. C’est important d’écrire encore et encore sur ce qui a existé, ce qui a été pour la mémoire mais aussi pour agir pour que ça ne se reproduise plus.

    Belle journée.

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Ibonoco ibonoco dit :

      C’est exactement l’esprit de ce texte et de sa publication en ligne. Aujourd’hui, certains manipulent les mots de manière subversive. Comme Camus, je pense que « Mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde… ou à la misère du monde ».

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