U N NOM FAUFILÉ DE SILENCES
I
Le hennissement d’un cheval
déchire la housse du sommeil,
réajuste les images et le tilleul bréhaigne frémit.
Le maçon, un homme sans visage,
décharge des briques crues et des pierres
devant la porte branlante.
Le muret et le four ancien
reviennent à leurs places
et moi, fillette de cinq ans,
je cours autour de la claie et je pleure
pendant que le cochon mord à belles dents
ma poupée de chiffon,
l’unique,
comme toutes les amours uniques
que le temps disjoint,
comme s’il voulait vérifier
l’endurance du cœur.
Personne ne m’entend.
Les araignées tissent des voiles de mariée
sur le poirier en fleur,
le maçon, impassible, taille
des pierres pour une nouvelle maison
dans laquelle il n’entrera pas.
Si je l’avais appelé,
si j’avais dit grand-père,
aurait-il entendu le sang ?
II
Je n’ai jamais prononcé à haute voix
son nom
que j’apprenais d’une photo,
clouée sur une poutre au grenier.
Les silences de mon père,
les oiseaux de l’accusation
dans les yeux de maman
à cause d’un péché d’autrui
rongeant le sang de la descendance.
Le sommeil rend des mots oubliés
et m’apprend les mantras de la nuit
que la vie passe sous silence.
Son nom est un chaton apeuré
enfoui sous le lit de ma langue.
Je l’épelle en sourdine
avec la persistance de quelqu’un
qui ne veut pas se réveiller
avant de réécrire le songe
de sa vie.
Aksinia Mihaylova dite Askinia née en 1963, in Le baiser du temps,nrf,Editions Gallimard, 2019, est une traductrice, éditrice et poète bulgare. Elle a étudié au lycée français de Vratsa puis à l’Institut national de bibliothéconomie de Sofia et au département de philologie slave de l’Université de Sofia, St. Kliment Ohridski. En tant que traductrice, Aksinia Mihaylova a traduit en langue bulgare au moins une trentaine d’auteurs dont Jean Genet. En 2014, elle recevra le prix Guillaume Apollinaire pour son livre écrit en français : Ciel à Perdre.
A NAME SEWN WITH SILENCES
I
The neighing of a horse
tears the sleep cover,
readjusts the images and the (?) linden tree quivers.
The mason, a man without a face,
discharge of mud bricks and stones
in front of the wobbly door.
The low wall and the old oven
return to their places
and me, a five-year-old girl,
I run around the filter screen and I cry
while the pig bites with beautiful teeth
my rag doll,
the only one,
like all unique loves
that the time is disjointed,
as if he wanted to check
the endurance of the heart.
No one can hear me.
Spiders weave bridal veils
on the pear tree in bloom,
the mason, impassive, size
stones for a new house
in which it will not enter.
If I had called him,
if I had said grandpa,
would he have heard the blood?
II
I have never said out loud
his name
that I learned from a photo,
nailed on a beam in the attic.
The silences of my father,
the birds of the charge
in mommy’s eyes
because of the sin of others
gnawing at the blood of the descendants.
Sleep brings back forgotten words
and teaches me the mantras of the night
that life passes in silence.
His name is a frightened kitten
buried under the bed of my tongue.
I spell it mute
with someone’s persistence
who doesn’t want to wake up
before rewriting the dream
of his life.
Aksinia Mihaylova known as Askinia born in 1963, in Le baiser du temps, nrf, Editions Gallimard, 2019, is a Bulgarian translator, editor and poet. She studied at the French High School in Vratsa, then at the National Institute of Library Science in Sofia and at the Department of Slavic Philology of Sofia University, St. Kliment Ohridski. As a translator, Aksinia Mihaylova has translated into Bulgarian at least thirty authors including Jean Genet. In 2014, she will receive the Guillaume Apollinaire Prize for her book written in French: Ciel à Perdre.
Bonjour John, quel superbe texte! j’imagine que le Grand-Père s’est pendu, enfin peut-être, chacun dans le silence du non dit peut y mettre ce qu’il veut. Bisous bon après-midi MTH
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Bonjour Marie,
Il y a eu un drame ou alors beaucoup de regrets parce que les mots d’amour n’ont pu être dits à la personne aimée.
En tous cas, ce texte m’a ému. Les vers sont superbes en effet.
Bisous Marie
John
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Beau texte, sur un secret de famille, dont on a honte, dont il ne faut pas parler, sans doute…
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Certainement Marie-Christine.
Je n’arrive pas à me faire une idée précise du drame
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C’est bien écrit, mais on ne peut en saisir le mystère !
Bonne journée John,
Amitiés 😘
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Bonjour Colette,
C’est vrai qu’il est difficile de savoir exactement qu’elle a été la tragédie ou le drame que l’auteur évoque.
Bon vendredi Colette 😊.
Amitiés
John
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