LE FILS
Il y a parfois certains souvenirs têtus, très têtus, qui font irruption par effraction au beau milieu d’une journée sans histoire, une journée ensoleillée qui respire à pleins poumons l’ivresse d’une décontraction bien méritée. En bref, il fait beau et bon, la sérotonine est à son maximum de performance… Mais ils sont là ! bien là et de plus en plus virulents ; ils tentent de forcer le passage de la conscience, véritable forteresse retenant prisonnière la mémoire afin de s’imposer et d’exister encore un peu, juste un peu avant d’être éliminés par l’usure de l’âge.
Les images, scènes, couleurs et murmures d’un autre temps, tous ces souvenirs, infimes résidus émotionnels, ceux d’une autre vie frappent ce matin à la porte d’un quotidien joyeux, un quotidien sans ombre ni brouillard matinal. Ils tambourinent de plus en plus fort. Et ils ne partiront pas avant d’avoir été entendus. Alors, que faire ? Les laisser sortir des tréfonds d’un esprit qui ne veut pas en entendre parler ? Ou leur donner la parole ? La parole libère nous dit-on, alors libérons ces vieilles images…
« Il y a bien longtemps, dans une galaxie lointaine, très lointaine… » :
De taille moyenne et assez fine tout en étant musclé, les cheveux noirs, le regard bleu, perçant, avec une pointe de douceur et de sérénité, il apparaît comme par magie aux autres invités assemblées dans la salle du bas. Toutes les têtes se tournent alors vers lui ; il devient le centre, l’acteur principal de la scène, mais une scène qu’il ne veut pourtant pas jouer. Alors il se force, il en a le courage, la puissance et la volonté. Son regard change d’expression, se durcit et l’on peut percevoir un peu d’humidité au coin de ses yeux : il pleure en silence, à petites gouttes, gouttes qui seront bientôt rivières de tristesse.
A présent, il a les yeux noyés de larmes, la voix étranglée par les pleurs et la colère, et ses bras puissants portent et soutiennent le corps raidi et froid de sa mère devant l’assemblée médusée. Il a repoussé énergiquement le service des hommes des pompes funèbres : ils ne la toucheront pas ! C’est sa mère ! et il s’en occupera jusqu’au bout. Ils font simplement leur métier et la mort est leur fonds de commerce mais voilà, aujourd’hui, il s’agit de sa mère ; le commerce n’a pas droit de cité.
Son regard se perd loin devant lui comme s’il n’y avait pas de murs dans la pièce, comme s’il était ailleurs. Il prend une inspiration, puis une autre et descend les escaliers lentement, très lentement comme pour ne pas la blesser davantage, comme pour ne pas la réveiller alors qu’elle vient juste de trouver le repos éternel. Toujours avec mille précautions et un infini respect, le garçon continue de descendre les marches de l’escalier en bois qui le mèneront jusqu’au cercueil. A l’intérieur, il la déposera délicatement : ultime acte d’amour et de respect du vivant pour la morte, d’un fils pour sa mère, dernière passation de pouvoir…
Ibonoco
THE SON
There are sometimes some stubborn, very stubborn memories that break in in the middle of a day without history, a sunny day that breathes in with full lungs the intoxication of a well-deserved relaxation. In short, the weather is fine and good, serotonin is at its maximum performance… But they are there ! well there and more and more virulent ; they try to force the passage of consciousness, a real fortress holding back the memory in order to impose itself and to exist a little more, just a little bit before being eliminated by the wear and tear of age.
The images, scenes, colours and whispers of another time, all these memories, tiny emotional residues, those of another life, knock this morning at the door of a joyful daily life, a daily life without shadows or morning fog. They are drumming harder and harder. And they won’t leave until they’ve been heard. So, what can we do? Let them out of the depths of a mind that doesn’t want to hear about it? Or give them the floor? The word liberates us, we are told, so let us liberate these old images…
« A long time ago, in a distant galaxy, very distant… » :
Medium-sized and rather thin while being muscular, with black hair, blue eyes, piercing, with a touch of sweetness and serenity, he appears as if by magic to the other guests assembled in the lower room. All heads then turn to him; he becomes the center, the main actor of the scene, but a scene he doesn’t want to play. So he strengthens himself, he has the courage, the power and the will. His gaze changes expression, hardens and you can perceive a little moisture in the corner of his eyes: he cries silently, in small drops, drops that will soon be rivers of sadness.
Now his eyes are drowned in tears, his voice strangled by tears and anger, and his strong arms carry and support his mother’s stiff and cold body in front of the amazed assembly. He energetically rejected the service of the men at the funeral home: they will not touch her! It’s his mother! And he’ll take care of it all the way. They simply do their job and death is their business, but today it is his mother; business has no place in the world.
His gaze is lost far ahead of him as if there were no walls in the room, as if he were elsewhere. He takes one breath, then another and descends the stairs slowly, very slowly as if not to hurt her further, as if not to wake her up when she has just found eternal rest. Still with a thousand precautions and infinite respect, the boy continues to descend the steps of the wooden staircase that will lead him to the coffin. Inside, he will delicately deposit it: the ultimate act of love and respect for the living for the dead, of a son for his mother, the last transfer of power…
Ibonoco
Bonjour je finis de lire ton billet la gorge serrée les larmes aux yeux, c’est émouvant , touchant , quel courage, amicales pensées MTH
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Bonjour Marie,
Je te remercie. C’est une vieille « histoire ». Le temps a passé depuis.
Bises et amitiés
John 😊😊
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Texte émouvant!
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Merci Marie-Christine
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Que d’émotions dans ce texte.
Quand les souvenirs reviennent il faut parfois les laisser entrer. Le temps que l’orage passe.
Belle et douce journée John.
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Merci à toi. Tu as raison pour les souvenirs : il faut savoir les laisser entrer pour mieux les laisse filer.
Belle journée à toi aussi.
John
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Très beau et touchant, John !
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Poignant.. Merci John
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Merci. Belle soirée 😊
John
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Merci de ce partage émouvant, la douleur de la perte d’un être cher transcende !
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Bonsoir Hélène,
En effet, et nous nous découvrons également à ce moment.. (un peu plus).
Amitiés
John
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Bouleversant ! Et je ne crois pas qu’un tel souvenir puisse disparaître quelle que soit l’usure de l’âge … Et nous devons laisser voyager les souvenirs à leur guise, sinon ils font trop de mal. J’en sais quelque chose ! Bonsoir John.
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Merci Catherine,
La mémoire est ainsi faite, elle fait revivre des scènes, des images, des sons ou alors elle disparaît et nous rend amnésique. Tu as raison, laissons s’exprimer les souvenirs dans les réprimer.
Belle soirée
John 😊
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C’est un « arrêt sur image » à l’aura forte, où l’émotion est encore palpable. Certaines douleurs ne disparaissent jamais vraiment. Elles s’atténuent et contribuent à forger notre image du monde.
Très beau texte, John. Merci pour ce partage.
Biz et amitié de Dom 🙂
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Merci d’avoir apprécié mon texte Dom. La douleur ne disparaît pas forcément avec le temps mais parfois, avec du travail, on arrive à la tenir à distance. Il en va de même pour la douleur physique. Mais c’est une autre histoire.
Belle soirée Dom 😊
Amitiés
John
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C’est bouleversant, et même si le temps a passé et posé son baume… le souvenir est net et imposant!
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La perte d’une maman est déchirante. Cette façon de porter ce corps de la défunte jusqu’à son ultime demeure. C’est très émouvant. Merci pour ce partage John 😊
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Bonjour Frédéric,
C’est effectivement un drame que nous sommes amenés à vivre un jour ou l’autre. C’est aussi toute la question de cet instant où l’on passe du vivant à la mort, ce changement de statut où tout va très vite.
Belle journée 😊
John
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Encore un acte d’amour pour sa mère et c’est le dernier qui lui restera toujours en mémoire. Perdre un être cher j’ai connu il y à très longtemps, là ou je commençai à vivre heureux avec ma première épouse. 50 ans ont passés mais le souvenir reste, je garde malgré tout les meilleurs souvenirs et les meilleurs moments.
Je m’en sors bien.
Amitiés John.
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Bonjour Christian,
C’est effectivement le dernier acte d’amour d’un garçon pour sa mère. ( Et c’est dans l’acte ou l’action que l’on découvre les personnes).
Merci d’avoir partagé le souvenir cde ta première épouse et montré que même après bien des années, les souvenirs sont toujours bien là, et les bons moments aussi.
Belle journée Christian.
Amitiés 😊
John
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Très touchant, ce texte, John !
Bon mercredi,
Amitiés♥
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Merci Colette.
Je te souhaite une belle journée 😊
Amities
John
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Magnifique texte : le fils est sur terre et la mère ad astra.
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Merci et belle journée… sur terre 😊.
John
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Les souvenirs sont là … Le plaisir de te lire aussi …
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Merci. J’apprécie beaucoup
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