J’ATTENDRAI
Un grand hôpital public de l’Est lyonnais, le jour se lève et s’étire sur un petit matin frisquet et gris de janvier. Il est à peine huit heures et déjà…
L’œil curieux du petit patient observe, note, scrute et remarque cet ensemble formant un dédale de bâtiments tout en essayant de se repérer pour ne pas se perdre ; il ne peut ni ne veut arriver en retard à sa visite de contrôle. Alors, il redouble d’efforts et fait appel à sa mémoire car il connaît les lieux… mais la fatigue d’une mauvaise nuit passée à souffrir est encore en lui et s’accroche à son corps comme pour mieux le lester de son empreinte. Il est encore tôt et il se sent déjà épuisé, éreinté, cassé ; il en aurait presque le tournis…
Alors, le petit patient s’agite. Il s’agite au gré de sa propre déambulation maladroite en béquilles, de sa timide impatience, de la douleur dans sa jambe droite ravivée par l’effet de cette marche matinale infernale et forcée, au gré de ses tribulations sans fin dans cet univers moderne, véritable labyrinthe de béton, de métal et de verre qui s’étale devant lui. C’est une ville dans la ville, un Etat dans l’État avec son ordre local, ses règles et ses protocoles. Ici, il n’est pas grand-chose ; il se sent disparaître dans le néant de l’anonymat, de la multitude grouillante des uniformes verts ou blancs, de la médecine froide, efficace et impersonnelle.
Et son regard s’y perd, s’y enfonce dans cette ville futuriste qu’il traversera comme un touriste, le temps d’une visite. Deci delà, un immense parking déjà bien rempli, une grande entrée dont l’une des portes a été condamnée dans un contexte de sûreté lié à Vigipirate, un immense hall d’où l’on peut voir en contrebas une nuée d’hommes, de femmes, de pères et de mères – avec leurs enfants – aller et venir à la recherche d’un but. Un peu plus loin, l’on peut apercevoir une passerelle, un autre grand hall, puis une autre passerelle et enfin le Graal : le bureau d’accueil pour les étiquettes… ouf ! Sans elles, rien n’est possible, pas de consultation, pas de soins, rien ! Nada ! pas même un sourire, on n’est qu’un paria, une personne sans aucun droit, un contrebandier social.
Mais cette étape – cruciale – des étiquettes n’est que le début d’un long parcours du combattant, un long et chronophage parcours du combattant où la patience sera éprouvée jusque dans ses derniers retranchements, jusqu’au moment où l’on ressentira ce dernier élancement dans les tempes qui parfois précède la tempête et qui voit ensuite naître l’explosion de la colère…
En effet, une fois les étiquettes en main, c’est reparti pour un nouveau tour de piste direction l’ascenseur pour descendre au niveau inférieur. Et ici, de nouveau un accueil, celui du service de radiologie où il faut à nouveau faire la queue après avoir préalablement pris un numéro, son numéro de passage dans la file d’attente. Une fois ce rituel accompli et un ordre de passage en poche, il ne reste plus qu’à s’installer paisiblement dans la salle d’attente et espérer que l’on vienne vous chercher rapidement. Cette fois-ci, le travail à la chaîne est bien rôdé et efficace : rien à dire ou à redire… ça débite et il faut déjà reprendre l’ascenseur – la radio étant prise – et remonter au niveau supérieur. Une fois le pont supérieur du navire atteint, une nouvelle présentation devant le premier bureau d’accueil est obligatoire pour vous enregistrer et vous diriger enfin vers le dernier bureau, celui des consultations en traumatologie. Là encore, un guichet, une file de personnes et une longue attente, une très longue attente.. Et enfin, une fois cette épreuve réussie, il ne reste plus qu’à patienter dans la salle d’attente et attendre, attendre, attendre et encore attendre que votre nom apparaisse sur un écran de télévision, que l’on vous appelle enfin pour votre rendez-vous – dans un box – , rendez-vous qui ne durera pas plus de dix minutes.
Tout se passe comme si l’attente avait envahi chaque recoin de cet hôpital et planait au–dessus de la tête du pauvre patient comme un aigle au-dessus de sa proie comme pour l’éprouver et lui faire comprendre qu’à chacune de ses visites, elle sera là, bien là pour éprouver sa patience avec tous ces retards, ces queues interminables, ces salles bondées où jamais personne ne s’excusera pour toutes ces heures perdues. Le public c’est peut-être aussi cela : les meilleurs professeurs, les meilleurs médecins mais un temps passé en salle d’attente toujours trop long. Il paraît même que l’on peut y mourir à force d’avoir trop attendu…
Ibonoco
Merci pour Rina Ketty que ma maman aimait bien. Et ma maman a vécu ses derniers jours en 2010 refusée par un hôpital en grève puis transférée dans hôpital surchargé qui l’a gardée dans un couloir plus de 8h d’affilée avant quelques examens sommaires, et ensuite fait entrer dans une maison de repos à une centaine de kilomètres……….. lorsqu’on a enfin accédé à ma demande de la remettre en centre hospitalier, il était trop tard…. Et comme m’a laconiquement expliqué son médecin traitant « ce n’est pas en portant plainte ni en consultant son dossier que ça la fera revenir » (sic). Les vieilles personnes, après tout,……. 😦
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Bonjour Hélène,
Tout d’abord, je suis désolé pour ta maman et les conditions inhumaines qui ont précédé son départ. Et je suis également consterné mais non étonné par la réponse qui t’a été donnée.
En tant que patient, nous n’avons jamais droit à un mot de sympathie ni d’excuse. Je crois que cela n’est pas encore enseigné dans les facs de médecine.
Merci Hélène pour ton témoignage.
Amitiés et belle journée
John
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je t’en prie, tes articles sont faits pour être argumentés ! ma maman est partie en 2010….je peux aborder le sujet plus calmement 🙂 – bonne soirée John
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Merci Hélène,
J’apprécie le sens de ton intervention.
Amitiés et belle soirée
John
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Les urgences sont à éviter!
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Absolument ! 😊
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Marie-Christine, il est difficile d’éviter les urgences quand ce sont les pompiers qui vous y emmènent en pleine nuit 😦
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L’Hôpital, une ville dans la vie, où on n’est jamais sûr de ressortir quand on y rentre…
Merci pour ta belle description de ce lieu devenu inhumain, John !
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Bonjour à toi,
L’hôpital est un opéra où se jouent des tragédies ainsi que de belles scènes au quotidien où l’homme perd parfois son humanité.
Belle fin d’après-midi.
John
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J’ai lu il y a peu de temps, dans les Cahiers de Malte les mêmes impressions notées par Rilke. Je crains que nous n’avancions pas beaucoup sur le thème…
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En effet, il en faudra encore des années et des évolutions au sein de nos sociétés pour que le malade redevienne un Homme.
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Mais oui. On est… des « patients » et le terme est particulièrement adapté.
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Effectivement, des patients qui patientent… longtemps.
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C’est un problème en haut de la pyramide ou des gens assis dans leur fauteuil de cuir sont des gestionnaires et ne connaissent rien sur le terrain. Un sujet qui me touche John car j’ai travaillé 24 ans dans la santé. Le personnel dans les urgences font le maximum avec les moyens qu’ils ont. Un point ou je suis d’accord avec toi c’est dans les facs de médecine, le côté psychologique du patient n’est pas assez approfondie et pour les aidants également. Désolé, je m’emporte mais ça me touche tout cela, il va falloir, comme tu dis, des années pour que l’on revienne à plus d’humanité! Bonne fin d’après-midi John ツ
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Bonsoir Stéphane,
Evidemment, je ne l’ai pas montré parce que je ne savais pas comment l’écrire mais je ne remets pas en question la qualité et le professionnalisme des personnels. C’est simplement notre système de soins qui est en train de muter et cela ne va pas forcément dans le bon sens.
Merci Stéphane et ne t’inquiète pas, comme le disait Hélène à sa façon, « un article est fait pour être argumenté. »
Belle soirée à toi
John
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Je comprends John, c’est un sujet « sensible » mais tout le monde a le droit d’argumenter, pas de problème et je compatie pour Hélène par rapport à sa maman. Merci John, belle soirée également ツ
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Exactement Stéphane. 😊😊
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Tous ces petits désagréments ces petits détours ces grandes dimensions pour ces petites choses pour ces grands tracas pour ces petits corps qui sont pej de chose tous ces petits et grands riens qui nous font perdre le sens parfois des réalités humaines déshumanisantes, traumatisantes, … vaines.
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Tous ces petits désagréments qui nous pourrissent la vie mais qui ne sont pas heureusement insurmontables. Reste à redevenir un peu plus humain.
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J’étais justement à l’hôpital cet après-midi pour accompagner ma mère qui subit des piqûres chaque mois. Nous patientons à chaque fois au moins trois heures, sans compter le stress, l’inconfort, la douleur pour laquelle on ne lui prescrit même pas d’antalgique … Et je sais que nous ne sommes pas les plus à plaindre, aux urgences c’est bien pire.
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Bonsoir,
C’est un bien triste constat et malheureusement assez partagé. Et la dignité humaine dans tout cela ?
Pourquoi est-ce si difficile de replacer l’humain au centre des préoccupations de la société et en particulier de sa prise en charge médicale alors que justement il vient se faire soigner à l’hôpital par exemple ?
Belle soirée
Amitiés
John
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Oui, exactement ! Mais de nos jours on cherche surtout à faire des économies au détriment des patients et l’hôpital se dégrade toujours plus …
Belle journée à vous John ! Amitiés !
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Oui, c’est l’impression que j’ai souvent.
Belle journée 😊
John
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Oui, c’est bien vrai, que cette finale, hélas !!! La population vieillit et cela fait que les hôpitaux et les urgences sont bondés de patients et que le personnel est surchargé !!! Pas toujours facile au fait …
Bonne journée John,
Amitiés♥
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Bonjour Colette,
Tu as raison, la population vieillit et pour le moment, ce phénomène est peu pris en.compte.
Même prendre un rendez-vous avec un spécial tel qu’un dermatologue devient problématique.
Amitiés
John
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Oui une ville dans la ville où l’humain n’a pas toujours toute sa place. Alors que l’humain c’est le cœur.
Les problèmes sont réels, les professionnels s’en plaignent, les patients sont perdus. Et rien ne change…
Triste constat John.
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Bonjour,
J’espère simplement que nous verrons une évolution positive de la situation.
Le respect de la dignité humaine doit être inhérente aux traitements des patients.
Belle journée 😊
John
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Coucou, voilà pourquoi on nous nomme « patients » j’ai plus envie de dire clients car parfois les opérations sont hors de prix si on veut être opéré par un professeur, le dépassement d’honoraires est prohibitif, et j’ai juste un semblant de doute, une fois endormi , qui nous dit que c’est bien le professeur qui nous opère e non son assistant, mais je n’ai aucun doute , c’est lui qui touchera le prix du dépassement! Tu as écris, décris devrais-je dire une situation que tout le monde a connu, c’est tout à fait ça. Amitiés MTH
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Merci Marie. Tu as toi aussi bien décrit à ta façon ce que nous vivions tous et supportons sans presque rien pouvoir dire. Et malheureusement, tout cela empire au fil des années.
Bizzz
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A reblogué ceci sur Marie des vigneset a ajouté:
Bien écrit, bien décrit, c’est tout à fait ça. Bon après-midi MTH
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Merci Marie,
Tu me mets à l’honneur.
Amitiés
John 😊
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Ce constat est hélas bien juste, une ville dans la ville, où les patients qui patientent ne sont que des numéros au nom de la rentabilité des hôpitaux … Dans cette société où nous vivons je ne vois pas pourquoi, comment ça changerait ! Cependant, il ne faut pas oublier que nous avons la chance de pouvoir être soignés ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. Amitiés John.
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Oui, nous pouvons être soignés et bénéficions d’un système de santé que le monde nous envie. Il ne faudra pas le perdre. Mais un peu plus d’humanité n’est pas incompatible avec ce système ni avec nos valeurs, bien qu contraire
Amitiés 😊
John
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Oui, bien évidement !
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