Entre le jour et presque rien
The War on Drugs – Thinking of a Place – 2017
Il y a le jour,
il y a la nuit,
il y a le jour et la nuit…
et il y a l’ennui
comme il y a le jour,
l’ennui et la nuit…
Il y a les grandes journées,
celles qui s’étirent et s’étirent encore,
toujours et encore
à la façon d’un élastique tout pâlot,
presque translucide,
étiré jusqu’à la limite de la rupture,
de son point de non-retour,
mais qui refuse de céder,
têtu —
il sait bien qu’il a du ressort
et qu’il ne rompra pas ;
ne pas rompre,
résister coûte que coûte !
résister !
résister à l’offensive de la soirée,
à la morsure douce de la lumière
qui se fait oblique,
résister pour maintenir cette torpeur ambiante,
celle que l’on sent, pleine et muette,
dans les couloirs épais de ces bureaux
de la rue de Rome, boulevard Haussmann,
ou au troisième étage de la mairie annexe,
là où les horloges murales se taisent
et où les bics griffonnent distraitement
sur des formulaires pliés,
pendant que le soleil frappe les vitres
et fait fondre l’odeur du lino,
du plastique chaud,
de la machine à café trop souvent sollicitée.
Maintenir cet ennui
qui s’installe lentement en toi,
comme ces vaguelettes salées
venues s’échouer, inlassablement,
sur la plage de Sylvabelle —
blonde, douce et un peu collante —
quand ta serviette déjà humide
se couvre de sable mouillé,
que la crème solaire te colle à la peau,
te chauffe,
te pique presque.
Là-haut,
dans les pins parasols
et les eucalyptus tordus par les vents d’août,
les cigales s’acharnent,
obstinées,
à faire grincer leurs cymbales,
creusant le silence de leurs stridences,
comme un appel à l’amour,
désespéré,
sublime
et hypnotique,
jeté à l’aveugle dans la touffeur de l’après-midi.
Et tout ça pour ça,
juste pour attirer une amie de jeu
ouverte à l’été.
Et tout ça pendant la journée,
cette putain de même journée
qui s’étire et s’étire encore,
sans fin.
Mais le soleil finit par reculer,
lentement,
comme à regret.
Il cède du terrain
et te permet de le regarder
enfin
droit dans les yeux,
mais seulement après
qu’il a enfilé sa tenue de soirée
rose orangé,
froissée,
flottante.
À présent,
ses rayons te caressent tendrement le visage,
comme la main maternelle,
cette main rassurante,
cette main apaisante
laissant courir ses petits doigts
sur la joue de ton enfance,
et quand au fond de son cœur,
cette mère ressent alors
par ce simple contact
un amour incommensurable
pour ce petit être,
ce petit garçon,
qui un jour, à son tour,
quand le temps aura passé,
quand tout le temps aura presque passé
sur ses cheveux gris,
lui fermera délicatement les yeux
avec sa main d’homme,
de fils,
cette main,
ta main
qui tant et tant de fois
avait pris la sienne
comme pour accueillir sa protection
alors qu’elle l’accompagnait
sur ce long chemin…
de l’école à la vie…
Et tu sais qu’un jour,
un jour,
tu poseras ta main sur ses paupières
comme on ferme doucement un livre,
et qu’alors
tout aura presque été dit,
presque…
Et puis vient ce moment,
ce moment suspendu,
tant espéré,
où tout semble s’arrêter —
non pas brusquement,
non pas violemment,
mais comme si l’air lui-même,
à bout de souffle,
se déposait sur le monde environnant,
avec mollesse.
Alors, les murs deviennent plus épais,
les sons plus ronds,
presque mats,
comme si quelqu’un avait jeté
une couverture de coton tiède
sur l’instant présent.
Toi,
tu restes là,
sonné,
immobile,
un peu vidé,
dans un demi-silence
ponctué parfois
par le souffle irrégulier
du vieux ventilateur
posé sur le coin du bureau,
ou le râle sec
du store métallique
qui claque légèrement
à chaque coup de vent.
L’ombre avance,
doucement,
avec la lenteur noble
d’un félin fatigué.
Elle entre par les vitres,
s’insinue,
s’infiltre sous les portes,
glisse sur le sol,
se love entre les objets
comme un chat trouvant sa place,
sans bruit,
avec une certitude pleine.
Et toi,
tu regardes cette lumière
qui s’effondre,
qui s’épuise,
comme un corps fatigué
s’abandonnant enfin.
Et tu respires
un peu mieux,
enfin !
Même si l’odeur de la journée
colle encore à ta peau —
ce mélange d’imprimé humide,
de transpiration retenue
et de plastique chauffé au soleil.
Mais ce n’est pas encore la fin
de cette putain de journée,
non,
ce n’est pas la fin.
C’est juste un entre-deux,
un flottement…
Et dans ce flottement, pourtant,
quelque chose s’éveille,
lentement,
en toi,
des émotions,
des visages,
des images floues
remontent à la surface
pour ne former qu’un souvenir
sans contour ;
un souvenir imprécis —
la nuit tarde.
Juste une douce réminiscence,
comme un parfum d’une autre époque,
oublié au fond d’un vieux tiroir en bois,
remontant doucement
le cours du temps,
mêlé aux souffles tièdes du soir
qui ouvrent sur la nuit,
là où il n’y a plus que toi
dans le silence blanc
de ta chambre.
John Ibonoco
Between the Day and Almost Nothing
The War on Drugs – Thinking of a Place – 2017
There’s day, there’s night, there’s day and night…
And there’s boredom like there’s day, boredom and night…
There are the long days — the endless ones — stretching and stretching again, like a pale elastic band, ghostly, almost invisible, pulled right to the edge of snapping, holding its breath at the brink, yet not giving in, stubborn — it knows it’s still got stretch, it won’t break; no — it refuses to break, resists like an old worker clocking in one more time, pushing back against the evening’s slow invasion, the gentle bite of slanted light, resisting just to keep this thick air alive — this trance, this torpor — the kind you feel in the ghost-quiet corridors of office blocks on rue de Rome, or the sleepy wings of the town hall, 3rd floor, where clocks fall silent and ballpoint pens scribble half-heartedly on folded forms, while the sun crashes through the windowpanes, melting the stink of linoleum, warm plastic, overused coffee machines and paper sweat.
Keeping that boredom inside you — letting it settle in you like the salted foam waves that keep coming, always coming, to crash upon Sylvabelle’s blonde, sticky beach —
while your damp towel takes on wet sand, and sunscreen clings and burns and stings.
Up in the pines — in twisted eucalyptus trees split by August winds — the cicadas grind and grind their cymbals, insane with heat, carving the silence with their shrieks —
a love song, wild, pure, desperate — flung blind into the hot vacuum of the afternoon.
All that racket, just for a mate. Just for play. Just for summer.
And the day — that fucking day — stretches again, again and again, like it doesn’t know how to end.
But the sun backs down, eventually, shyly.
It gives way, lets you look it in the face — but only once it’s changed clothes,
put on its crumpled pink-orange evening dress.
Now it strokes your face — gently, maternally —
a mother’s hand across the cheek of your childhood,
fingers whispering love, immense and quiet, for the little boy you once were —
the boy who, one day, long after the clocks have ticked away his gray hairs,
will close those eyes with his own grown-up hand —
a hand that once reached up for protection
and now gently folds the chapter shut,
like the final page of a book being kissed closed.
And then comes that moment —
that precious, hovering moment when everything almost stops —
not with a bang, not even a murmur,
but like the air itself is too tired to keep going.
And so it lays itself down,
gently, upon the world.
The walls thicken, the sounds soften, go round and muffled,
like someone tossed a warm cotton blanket over reality.
And you — stunned, still, hollowed out —
sit in that half-silence,
pulsed now and then by the uneven breath of the old desk fan,
or the dry rattle of a metallic blind stung by the wind.
Shadows creep in — slow and proud like a weary cat —
through the windows, under the doors,
sliding across the floor, curling between the objects,
finding their place, without a sound, with certainty.
And you — you watch the light collapse,
watch it drain away like a tired body finally letting go.
And you breathe,
better now — finally.
Even if the day still clings to your skin —
that cocktail of wet ink, held-back sweat, sun-cooked plastic.
But it’s not the end —
not yet,
not the end of that goddamn day.
It’s just a pause —
a drift…
And in that drift, something stirs —
faces, feelings, fuzzy images rise up
like a memory with no edges,
just a soft aftertaste,
like the scent of a forgotten past —
lifted from an old wooden drawer,
surfacing slowly on the warm wind of night,
rising gently
as the twilight breath opens the gates of evening,
where now it’s just you,
alone in the white silence of your room.
John Ibonoco
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