HIGH SCHOOL TIME – LE TEMPS DU LYCEE

(Réédition du 28 octobre 2019)

LE TEMPS DU LYCEE

…voilà venu le temps des copains, le temps du lycée, des études, des rires, des premières vraies sorties le week-end, des premiers rêves à portée de main, des premières bagarres où les coups font autant de peur que de mal, des amours au goût sucré, des rencontres enivrantes à la peau douce, tendre et coquine

La vie ou plutôt notre vie – bouillonnante, passionnante, trépidante, et impatiente – , celle qui bat dans nos cœurs et nos artères et qui à chacune de ses pulsations régulières nous propulse toujours vers l’avant, vers demain, un demain plein d’entrain, de promesses, de rêves et de foi en l’avenir, un futur encore un peu lointain mais irrésistible et fabuleux. Et cet avenir est à nous, pour nous – à présent. Il nous attend de pied ferme ; nous ne le décevrons pas ! Nous sommes prêts… à dévorer le monde, à le dévorer tout cru comme pour le mieux faire entrer en nous et à la fois lui appartenir.

Nous avons faim de tout, de toutes ces petites et grandes choses qui brillent dans le regard de ces beautés anonymes du matin croisées en allant au lycée, véritables fantômes de chair et de sang au parfum envoûtant, encore inaccessibles, …et si belles, tellement belles. Nous sommes affamés de bons films au cinéma où la guerre du Vietnam fait son entrée fracassante avec Apocalypse Now, Retour vers l’enfer ou Platoon ; la guerre continue sur les écrans sur fond de défaite et de traumatismes… Milos Forman – avec Jack Nicholson – nous montre la folie de l’intérieur, les conditions de vie des patients d’un hôpital psychiatrique. Nicholson, les cheveux en pétard, les yeux plus grands que le visage avec un sourire de détraqué restera un peu sur le même registre en devenant fou et possédé dans Shining. Nos héros, ceux du grand écran, Nicholson, De Niro, Al Pacino, Robin Williams et tant d’autres, nous ont montré la voie, celle d’un avenir où tout sera possible : « Ô Capitaine ! Mon Capitaine ! Notre effroyable voyage est terminé. Le vaisseau a franchi tous les caps, la récompense recherchée est gagnée… »

En attendant la fin du voyage et demain, aujourd’hui est prometteur ; il y a de l’insouciance et de la magie dans l’air, les examens n’auront lieu qu’en juin. Les cafés sont emplis de lycéens et d’étudiants coudoyant l’ouvrier en bleu de travail, l’alcolo accroché au comptoir, un verre de blanc limé dans la main droite, une Gitane maïs à moitié éteinte dans l’autre, les doigts jaunis par la nicotine, le nez protubérant, rouge et comme rongé par le vin. Quant aux vétérans de la Deuxième guerre mondiale, ceux qui dès 1941 ou 1942 ont rejoint le Maroc ou l’Algérie et l’armée française, ils sont là eux aussi, accrochés au comptoir, un verre de rouge ou de blanc à la main, une clope au bec et refont leur guerre. A l’époque, il a fallu mentir sur son âge alors que l’on avait à peine dix-sept ans, embarquer à Marseille, puis s’engager en Afrique du Nord. « Tu vois, au-dessus de la porte principale de la caserne, c’était écrit : Vous entrez ici comme des lions, vous sortirez comme des moutons. » nous racontait l’un deux. « Eh bien c’était vrai ! On en a faites des marches dans l’Atlas… Et les boches, putain les boches, on les aimait pas… »

A midi, les plats du jour à trente balles avec un litre de rouge compris s’entasseront sur les tables entre deux petits jaunes, une pression et un café noir jusqu’à quatorze heures. De l’alcolo à l’artisan, de l’ouvrier au vétéran, du petit patron au garçon de bureau, tous consommeront dans la joie et la bonne humeur, tandis que du Juke-box s’échappe dans l’air ambiant la voix de Madonna qui vient se mêler aux chocs des fourchettes et des couteaux dans l’assiette, aux conversations improbables, aux bruits du flipper de la salle de jeux. Les jambons-beurre, croque-monsieur, parts de pizza et autres sandwichs feront le bonheur des plus pressés et des plus pauvres – les lycéens quand ils ont en assez de goûter aux joies de la cantine et de sa routine quotidienne.

L’après-midi débutera ensuite tranquillement pour les uns à écouter un prof captivant, les yeux se fermant toutes les dix secondes, la digestion faisant son œuvre sur une journée commencée très tôt. Pour les autres, une partie de coinche ou de tarot sur une vieille table en bois usée par toutes ces mains maladroites et ivres, ces verres renversés, ces mégots de cigarettes incandescents brûlant sa surface, se déroulera entre deux blagues, quelques histoires cocasses, un café, une bière ou deux et un diabolo cassis. Pour d’autres encore, le baby-foot sera l’activité principale de tout l’après-midi ; ils ne verront même pas l’heure défiler, ratant à « l’insu de leur plein gré », les cours de la deuxième partie de la journée. Alors, dès le lendemain matin, il faudra trouver une excuse bidon et imiter la signature d’un père ou d’une mère. « État grippé ? », ironisera le pion en nous dévisageant lentement comme pour faire monter la pression. « Qu’est-ce qui est grippé ? L’état ?… On dit ÉTAT GRIPPAL! Et dire que ça, ça passe le bac de français à la fin de l’année. Allez, tous en cours… ! » dirat-il sur un ton légèrement aigri et dissimulant mal une certaine colère…

Nous avons faim de tout et d’un rien. Nous avons une faim de loup, un appétit d’ogre et le cœur encore léger, tendre, bercé par les vers de nos chers poètes, par les textes de nos grands auteurs du Lagarde et Michard, les romans d’une nuit de Barjavel plongeant leurs racines dans l’éternité de l’amour, ceux de Boris Vian écumant nos jours d’études ou d’Hermann Hesse libérant le loup qui est en nous pour le laisser vagabonder sur la steppe… Les mots sortent de leur écrin, prennent leur envol et cherchent à donner du sens à des conversations aux accents socio-économiques, philosophiques ou politiques naissants. Marx, le grand Karl n’est pas loin avec sa barbe grise, il ferraille – son manifeste sous les bras – avec un contradicteur sur le plateau télé enfumé de l’émission Droit de réponse de Michel Polac, tandis que Gainsbourg et Renaud se marrent, bourrés comme des coings, le cul bien enfoncé dans des fauteuils confortables. Sur l’autre chaîne, Antenne 2, Jacques Chancel et son Grand Échiquier reçoivent Yves Montand, un des grands de la chanson et du cinéma français.

L’époque est belle et riche, l’art se porte bien. Jean-Michel Basquiat à New York, Andy Warhol et ses copains, Dali en pleine effervescence affirmant que la gare de Perpignan est le centre du monde, la musique anglo-américaine inondant les ondes FM fraîchement libérées du carcan de l’État, une guerre froide qui voit les cerveaux de l’Est passer à l’Ouest, un mur de Berlin qui ne montre pas encore de signes de faiblesse…

…Voilà le temps du lycée, « des rires et des chants », des amours fantasmés, des rêves insensés, d’un éveil de la pensée et toujours, pour toujours, celui de la fraternité et de l’amitié…

John Ibonoco

 

THE TIME OF HIGH SCHOOL

…and here it comes — the time of friends, the high school years, studies, laughter, the first real weekend outings, the first dreams within reach, the first fights where the fear stings as much as the bruises, the sweet-tasting loves, the intoxicating encounters with tender, mischievous skin…

Life — or rather our life — bubbling, passionate, restless, and impatient — beats in our hearts and veins, and with every pulse it launches us forward, toward tomorrow, a tomorrow full of drive, promises, dreams, and faith in the future — a future still a little distant but already irresistible and dazzling. And that future is ours — now. It’s waiting for us with open arms; we won’t let it down! We are ready… ready to devour the world, to bite into it whole as if to absorb it better — and belong to it all at once.

We’re hungry for everything, for all the little and big things that shimmer in the eyes of those anonymous beauties we pass in the morning on the way to school — flesh-and-blood ghosts with intoxicating scents, still out of reach… and so beautiful, achingly beautiful. We crave the good movies playing at the theater where the Vietnam War crashes onto the screen in Apocalypse Now, Coming Home, or Platoon; the war goes on, on film, steeped in loss and trauma… Milos Forman — with Jack Nicholson — shows us madness from the inside, the lives of patients in a mental hospital. Nicholson, wild-haired and wide-eyed with a madman’s grin, stays on that edge when he turns possessed in The Shining. Our heroes — Nicholson, De Niro, Al Pacino, Robin Williams — showed us the way, the path to a future where anything could be possible: “O Captain! My Captain! our fearful trip is done. The ship has weather’d every rack, the prize we sought is won…”

While the end of the journey may still be ahead, today is full of promise; there’s lightness and magic in the air, exams won’t be until June. Cafés are crowded with students brushing shoulders with the blue-collar worker, the barfly clutching a glass of white wine in one hand and a half-dead Gitane in the other, nicotine-stained fingers, a nose red and rough from drink. The WWII veterans, the ones who joined up in 1941 or ‘42 in Morocco or Algeria, they’re here too, holding their wine, cigarette clamped in their teeth, retelling their war. “See, above the main gate at the barracks, it said: ‘You enter here as lions, you’ll leave as sheep.’ And it was true! We marched all over the Atlas… And the Krauts, damn, we hated the Krauts…”

At noon, lunch specials at thirty francs with a liter of red included will stack up on the tables between rounds of pastis, a beer and a strong black coffee until 2 p.m. From drunkards to craftsmen, from workers to war vets, from small business owners to office clerks — everyone eats and drinks together in a kind of cheerful disorder, while Madonna’s voice escapes the jukebox and swirls in the air, mixing with clinking forks and knives, surreal chatter, and the clacks of the pinball machine in the arcade. Ham-butter baguettes, croque-monsieurs, slices of pizza and sandwiches will satisfy the most rushed — and the broke ones — the high schoolers tired of the daily routine of the canteen.

Afternoons begin quietly: some listen to a passionate teacher, eyelids falling every ten seconds, digestion softening a day that started too early. Others play coinche or tarot at an old wooden table worn by clumsy, boozy hands, spilled drinks, and the burn of cigarette butts — trading jokes, stories, a coffee, a beer or two, maybe a blackcurrant soda. For others, it’s foosball all afternoon — they lose track of time, skipping class “accidentally on purpose.” The next morning, they’ll need a fake excuse and a forged signature. “The flu, huh?” the supervisor will mutter, eyeing us slowly. “What’s sick? The State? It’s called influenza! And to think you are taking the French bac this year… Get to class!”

We are hungry for everything and nothing. Hungry like wolves, like ogres, our hearts still light and tender, rocked by the verses of our favorite poets, the texts of the great authors in our schoolbooks, the sleepless novels of Barjavel rooted in eternal love, the surreal tales of Boris Vian guiding us through student days, and Hermann Hesse freeing the wolf within to wander the steppes. Words take flight from their page-bound cages, trying to make sense of conversations just beginning to flirt with social, philosophical or political thought. Marx, great Karl himself, isn’t far — beard bristling, battling a TV debate opponent on Michel Polac’s smoky Droit de réponse show, while Gainsbourg and Renaud chuckle drunk in the plush chairs nearby. On the other channel, Antenne 2’s Le Grand Échiquier hosts Yves Montand — one of the greats of French cinema and chanson.

It’s a rich time, a beautiful era. Art is alive and well. Jean-Michel Basquiat in New York, Warhol and friends, Dali declaring Perpignan’s train station the center of the world, Anglo-American music flooding the newly liberated FM airwaves, a Cold War pushing Eastern minds to the West, a Berlin Wall not yet cracking…

…And so this is high school — the time of laughter and song, of imagined love stories, wild dreams, the awakening of thought — and always, forever, the time of brotherhood and friendship.

John Ibonoco

4 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Avatar de marie marie dit :

    Bonjour John ton billet m’a remplie de nostalgie, d’une bonne nostalgie, car « c’était, pour moi, le bon temps » tu as mis dans tes mots tous mes ressentis, les copines, les copains (de mon temps pas encore!) les amours fantasmées , ça oui, l’éveil des sens et du coeur, quelle belle « époque » même si on ne s’en rendait pas vraiment compte. Bisous bon après-midi MTH

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Ibonoco ibonoco dit :

      Bonjour Marie,
      Je vois que l’on a la même nostalgie d’un temps heureux, d’une époque où tout nous paraissait possible.
      Merci encore Marie de de tes mots et gros bisous.
      Amitiés
      John

      J’aime

  2. Une époque comme un tournant dans l’histoire. Parfois j’aimerai de cette insouciance, de cette intention de vivre, de ce plaisir de transgresser les règles, revenir un peu en arrière dans ce temps des jours heureux où l’espoir se portait en bandoulière et non à bout de bras, pour esquiver la prochaine vague incertaine.
    J’aimerai redevenir jeune pour toujours!!!
    Merci John pour ce superbe texte

    Aimé par 1 personne

    1. Avatar de Ibonoco ibonoco dit :

      Merci Marie. J’aimerais comme toi revenir en arrière quelques fois afin de mieux savourer cette époque, le moment, l’air du temps, et revoir ceux que nous avons croisés. Échanger avec ces derniers.
      Et cet espoir dont tu parles, cette foi quasi aveugle que j’avais pour demain sans me douter que le temps finirait par peser sur mes épaules et mon âme. J’y repense tout en essayant de ne pas être trop nostalgique

      Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire