Today: Chronicle of ordinary scientific sexism

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Chronique du sexisme scientifique ordinaire

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Il ne sera pas surprenant de constater, en consultant la liste des 660 personnalités de la Révolution française et du Premier Empire dont le nom figure sur l’Arc de triomphe parisien, une énumération exclusivement masculine, le contexte de l’époque étant typiquement militaire et guerrier. En revanche, l’absence totale de femmes parmi les 72 noms de scientifiques, ingénieurs ou industriels ayant, selon Gustave Eiffel, « honorés la France » de 1789 à 1889 et qu’il décida de graver en lettres d’or au premier étage de la Tour, aura de quoi interpeller. Une vingtaine d’années plus tôt la philosophe britannique Harriet Mill avait pourtant co-écrit avec
son époux, le célèbre économiste John Stuart, un essai précurseur et retentissant, De l’assujettissement des femmes (1869), véritable manifeste en faveur de la parité et de l’égalité de vote en rupture avec les normes sociales victoriennes, annonçant le mouvement des suffragettes que fondèrent en 1903 Emmeline Pankhurst et ses filles. Sarah Gavron leur consacrera en 2015 un excellent film qu’elle eut l’autorisation de tourner, pour la première fois dans l’histoire du cinéma, dans l’enceinte du Palais de Westminster. Cette impulsion citoyenne eut du mal à franchir la manche.

Socrate, d’après le Timée, avait aspiré à « mettre (les) natures (des femmes) en harmonie avec celles des hommes et leur donner les mêmes occupations (…) à la guerre et dans toutes les circonstances de la vie ». Mais par la suite, tout dégénéra. Dans son premier Épître à Timothée, Paul de Tarse, au premier siècle de notre ère, décrocha le pompon du suprémacisme mâle et du patriarcat : « Que les femmes se tiennent en silence, et dans une entière soumission lorsqu’on les instruit. Je ne permets point aux femmes d’enseigner, ni de prendre autorité sur leurs maris ; mais je leur ordonne de demeurer dans le silence. Car Adam a été formé le premier, et Ève ensuite… ». L’épopée d’Hypathie d’Alexandrie (v. 355-415) fut hélas sans lendemain. Diderot, dans l’article de L’Encyclopédie sur l’éclectisme, consacra à cette pédagogue de génie, dont l’enseignement mêlait sciences naturelles, mathématique et philosophie, des lignes enthousiastes: « Les Éclectiques comptèrent aussi des femmes parmi leurs disciples. Nous ne parlerons pas de toutes ; mais nous mériterions les plus justes reproches de la partie de l’espèce humaine à laquelle nous craignons le plus de déplaire, si nous passions sous silence le nom de la célèbre et trop malheureuse Hypatie […]. La nature n’avait donné à personne, ni une âme plus élevée, ni un génie plus heureux, qu’à la fille de Théon. L’éducation en fit un prodige » Martyre du savoir, elle fut la victime, sauvagement assassinée et mutilée, du fanatisme religieux chrétien est devint l’incarnation de l’ambition pédagogique et des progrès de la connaissance.

Aujourd’hui, les femmes savantes, présumées sorcières ou non, ne sont plus vouées aux gémonies. Mais sévissent encore des Chrysale, qui, dans la tradition paulienne et à la suite de Molière, affirment de temps à autre que les jeunes filles « doivent faire la
couture et la cuisine et se taire »
. La controverse récente autour de la médiatisation de la boursière postdoctorale au MIT Katie Bauman, membre de l’équipe du Event Horizon Telescope et qui fut à l’origine de la première photographie d’un trou noir (2019) – on lui doit l’algorithme décisif -, nous rappellera que le problème reste entier et qu’il y a encore beaucoup de chemin à parcourir avant de parvenir à une parité réelle au sein de la sphère scientifique. Une nuée de trolls la harcelèrent en effet sur les réseaux sociaux en l’accusant d’avoir trop attiré à elle la lumière, alors qu’elle n’avait rien demandé. Elle avait le tort d’être une femme qui avait réussi. L’historienne des sciences Margaret Rossiter théorisa sous le nom d’« effet Matilda », du nom de la militante féministe Matilda Joslyn Gage, ce sexisme ordinaire qui sévit dans les laboratoires de recherches depuis le XIXe siècle. Elle évoque en particulier le cas de la chimiste britannique Rosalind Franklin qui découvrit en 1962 la structure de l’ADN et vit de façon inexplicable le prix Nobel de médecine lui passer sous le nez au profit de ses deux collègues masculins. Rebelote cinq ans plus tard: avez-vous jamais entendu parler de Jocelyne Bell, cette doctorante de Cambridge qui découvrit en 1967 le premier Pulsar, l’un des premiers indices de l’existence des trous noirs ? Bizarrement, c’est son directeur de thèse qui rafla la mise à Stockholm.

Le récent décès de la pédiatre Marthe Gautier (1925-2022), créatrice du premier laboratoire de culture cellulaire in vitro dans notre pays, nous a remis en mémoire un épisode peu glorieux de la recherche française : la découverte du chromosome surnuméraire responsable de la trisomie 21 ne lui fut pas attribuée alors qu’elle venait d’identifier cette anomalie grâce à un protocole spécifique dont elle avait eu la maternité. Dans la publication initiale des résultats (1959) par l’Académie des sciences, son nom n’apparaît pas en premier comme le voulait l’usage et la communauté scientifique commit donc l’erreur d’accorder l’année suivante, lors d’un
symposium international, la paternité de la découverte de cette singularité chromosomique au premier signataire du document, un chercheur du CNRS qui n’avait fait que l’assister dans ses travaux. Marthe Gautier, victime de l’« effet Matilda », se qualifia avec ironie de « découvreuse oubliée »… Pour illustrer le phénomène et le droit de l’invention, le biologiste et géographe Jared Diamond, dans son traité sur L’inégalité parmi les sociétés (1997), sans toutefois faire allusion à ce sexisme scientifique ambiant – ce n’était pas son propos dans cet essai -, parlera plus tard de « précurseur négligé » au titre d’une « théorie héroïque de l’invention » qui génère oubli, injustice et scandale au détriment des méritants novateurs. Combien de femmes furent d’authentiques héroïnes de l’ombre, et d’hommes de peu glorieux usurpateurs. Je vous renvoie à ce propos aux Figures de l’ombre (2016) de Théodore Melfi. Ce cinéaste mit à l’honneur les géniales et invisibles mathématiciennes afro-américaines qui contribuèrent de manière décisive au succès du programme spatial de la NASA, alors que la ségrégation raciale était à son acmé dans le pays.

Une société se revendiquant « ouverte », au sens où l’entendait l’épistémologue Karl Popper, ne saurait souffrir de tels apanages fondés sur un suprémacisme primitif. Pour paraphraser Olympe de Gouge, auteure de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne (1791), si la femme a le droit d’investir chaque jour son laboratoire pour faire progresser la recherche scientifique, elle doit avoir aussi celui de franchir de temps en temps les marches de l’hôtel de ville de Stockholm le 10 décembre de chaque année. Marie Curie, comme plus tard Marguerite Yourcenar sur le terrain académique avec le soutien de Jean d’Ormesson, avaient ouvert une voie dont beaucoup auront été privées par négligence ou parti pris. Nous devons à la biochimiste néo-américaine Katalin Karikó, récente émigrée hongroise longtemps placardisée par la communauté scientifique, une avancée majeure en chronothérapie par le biais de nanoparticules lipidiques et surtout le vaccin à ARN messager. Mère attentive, elle vit sa fille, Susan Francia, être double médaillée d’or par équipe d’aviron olympique en 2008 et 2012. Il reste à espérer, pour avoir contribué à sauver de nombreuses vies lors de la pandémie de Covid-19, qu’elle obtiendra prochainement, avec son partenaire de recherche le médecin immunologiste Drew Weissman, le prix Nobel de physiologie. Lorsqu’en 2021 l’Académie française des sciences récompensa sa ténacité par la plus prestigieuse de ses récompenses, la Grande Médaille, et que le prix international L’Oréal-Unesco pour les femmes et la science lui fut remis, elle se sera sans doute rappelé le temps où ses interlocuteurs au sein de son université pensylvanienne lui demandaient systématiquement quel était son superviseur ou la sollicitaient pour faire le
café ou apporter l’eau chaude du thé.

Patrick BILON, le 17 juillet 2022 pour News from Ibonoco

Patrick Bilon, né en 1956, a été cadre dirigeant d’intercommunalité, consultant senior en stratégie territoriale, enseignant en finances publiques et développement rural à L’Université Lumière – Lyon II – et professeur associé en Géographie Aménagement à la Faculté des Lettres et Civilisations. Il est également passionné de littérature, de philosophie, de science…

Chronicle of ordinary scientific sexism

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It will not be surprising to note, when consulting the list of the 660 personalities of the French Revolution and the First Empire whose names appear on the Parisian triumphal arch, an exclusively male enumeration, the context of the time being typically military and warlike. On the other hand, the total absence of women among the 72 names of scientists, engineers or industrialists who, according to Gustave Eiffel, « honored France » from 1789 to 1889, and whom he decided to engrave in gold letters on the second floor of the Tower, will be a source of concern. Twenty years earlier, the British philosopher Harriet Mill had co-written with her husband, the famous economist John Stuart, a seminal and resounding essay, On the Subjugation of Women (1869), a veritable manifesto in favor of parity and equal voting rights, breaking with Victorian social norms and heralding the suffragette movement founded in 1903 by Emmeline Pankhurst and her daughters. Sarah Gavron dedicated an excellent film to them in 2015, which she was allowed to shoot, for the first time in the history of cinema, in the Palace of Westminster. This citizen impulse had difficulty to cross the Channel.

Socrates, according to the Timaeus, had aspired to « put (the) natures (of women) in harmony with those of men and give them the same occupations (…) in war and in all circumstances of life ». But then everything went wrong. In his first Epistle to Timothy, Paul of Tarsus, in the first century of our era, took the cake for male supremacism and patriarchy: « Let the women keep silent and in complete submission when they are instructed. I do not permit women to teach, nor to take authority over their husbands, but I command them to be silent. For Adam was formed first, and Eve afterwards… ». The epic of Hypathy of Alexandria (c. 355-415) was, alas, without a future. Diderot, in the Encyclopedia article on eclecticism, devoted enthusiastic lines to this genius teacher, whose teaching mixed natural sciences, mathematics and philosophy: « The Eclectics also counted women among their disciples. We will not speak of all of them; but we would deserve the most just reproaches from the part of the human race to which we fear most to displease, if we were to pass in silence the name of the famous and too unfortunate Hypatia […]. Nature had given to no one, neither a more elevated soul, nor a more happy genius, than to the daughter of Theon. Education made her a prodigy » Martyr of knowledge, she was the victim, savagely murdered and mutilated, of Christian religious fanaticism and became the incarnation of pedagogical ambition and the progress of knowledge.

Today, learned women, presumed witches or not, are no longer condemned to gémonies. But there are still some Chrysalas, who, in the Pauline tradition and following Molière, say from time to time that young girls « must do the sewing and the cooking and keep quiet ». The recent controversy surrounding the media coverage of MIT postdoctoral fellow Katie Bauman, a member of the Event Horizon Telescope team who was responsible for the first photograph of a black hole (2019) – she is credited with the decisive algorithm – will remind us that the problem remains and that there is still a long way to go before we achieve real parity within the scientific sphere. A swarm of trolls harassed her on social networks, accusing her of having drawn too much light to herself, even though she had not asked for it. She was wrong because she was a successful woman. The historian of science Margaret Rossiter theorized under the name of « Matilda effect », named after the feminist activist Matilda Joslyn Gage, this ordinary sexism that has been rampant in research laboratories since the 19th century. She evokes in particular the case of the British chemist Rosalind Franklin who discovered in 1962 the structure of DNA and saw the Nobel Prize for Medicine inexplicably pass her by in favor of her two male colleagues. Five years later: have you ever heard of Jocelyne Bell, the Cambridge doctoral student who discovered in 1967 the first Pulsar, one of the first clues to the existence of black holes? Strangely enough, it was her thesis director who won the prize in Stockholm.

The recent death of the pediatrician Marthe Gautier (1925-2022), creator of the first in vitro cell culture laboratory in our country, reminded us of a not very glorious episode in French research: the discovery of the supernumerary chromosome responsible for trisomy 21 was not attributed to her even though she had just identified this anomaly thanks to a specific protocol of which she had been the mother. In the initial publication of the results (1959) by the Academy of Sciences, her name does not appear first as was customary and the scientific community therefore made the mistake of granting her paternity the following year at an international symposium. The following year, during an international symposium, the scientific community made the mistake of giving the paternity of the discovery of this chromosomal singularity to the first signatory of the document, a CNRS researcher who had only assisted her in her work. Marthe Gautier, victim of the « Matilda effect », ironically called herself the « forgotten discoverer »… To illustrate the phenomenon and the right of invention, the biologist and geographer Jared Diamond, in his treatise on Inequality among Societies (1997), without however alluding to this ambient scientific sexism – it was not his purpose in this essay -, will later speak of « neglected precursor » under the title of a « heroic theory of invention » which generates oblivion, injustice and scandal to the detriment of the deserving innovators. How many women were authentic heroines of the shadows, and how many men were not very glorious usurpers. I refer you to the Figures of the shadow (2016) of Theodore Melfi. This filmmaker honored the brilliant and invisible African-American women mathematicians who contributed decisively to the success of NASA’s space program, when racial segregation was at its peak in the country.

A society that claims to be « open », in the sense of the epistemologist Karl Popper, cannot suffer from such prerogatives based on a primitive supremacism. To paraphrase Olympe de Gouge, author of the Declaration of the Rights of Women and Citizens (1791), if women have the right to invest their laboratories every day in order to advance scientific research, they must also have the right to cross the steps of Stockholm’s city hall from time to time on December 10 of each year. Marie Curie, as later Marguerite Yourcenar on the academic field with the support of Jean d’Ormesson, had opened a way of which many will have been deprived by negligence or bias. We owe to the New American biochemist Katalin Karikó, a recent Hungarian emigrant who had been blacklisted by the scientific community for a long time, a major breakthrough in chronotherapy using lipidic nanoparticles and, above all, the messenger RNA vaccine. A caring mother, she saw her daughter, Susan Francia, become a double Olympic rowing team gold medalist in 2008 and 2012. It remains to be hoped that, for helping to save many lives during the Covid-19 pandemic, she and her research partner, immunologist Drew Weissman, will soon be awarded the Nobel Prize in Physiology. When in 2021 the French Academy of Sciences rewarded her tenacity with its most prestigious award, the Grande Médaille, and that the L’Oréal-Unesco International Award for Women in Science, she will have remembered the time when people at her Pennsylvania university would
at her Pennsylvania university would routinely ask her who her supervisor was or ask her to make coffee or bring hot water for tea.

Patrick BILON, July 17, 2022 for News from Ibonoco

Patrick Bilon, born in 1956, has been a senior manager of intercommunality, a senior consultant in territorial strategy, a teacher in public finance and rural development at the University Lumière – Lyon II – and an associate professor in Geography and Planning at the Faculty of Letters and Civilizations. He is also passionate about literature, philosophy, science…

6 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Bonjour John un billet fort interessant, j’en ai appris des choses et j’adore ça, cela me permet( permettais au passé n’ayant plus d’amies pouvant discuter de ce billet, ) tant pis je garde mon « nouveau » savoir pour moi bisous bon après-midi MTH

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Bonjour Marie,

      Patrick Bilon a beaucoup de  » chose  » à transmettre. Peut-être voudra-t-il encore écrire pour mon blog quelques textes.

      Bisous et amitiés
      John

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  2. Bonjour, intéressantl’on fait des découvertes !

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Bonsoir Marie-Christine,
      Avec Patrick Bilon, toujours

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  3. michusa dit :

    Merci pour cet excellent article. Oui le film Hidden Figures sur les mathématiciennes de la Nasa derriere la conquête spatiale est excellent et édifiant. Et oui pour cette femme scientifique Katalin Karico qui a sauvé l’humanité du Covid, on en a très peu parlé… alors qu’on a fait la une sur le PDG de l’entreprise qui a bien profité financièrement de cette découverte. J’attendais un prix Nobel en 2021 pour elle… en espérant qu’il ne lui sera pas soufflé par un « scientifique » d’une des 2 entreprises qui ont utilisé sa découverte d’ARN messager. J’avais lu un article il y a longtemps au debut des vaccins en 2021 je crois à son sujet puis on n’en a plus parlé comme par hasard

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      C’est moi qui te remercie d’avoir apprécié. Je les transmettrai directement à son auteur Patrick Bilon.

      Aimé par 1 personne

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