It’s a fucking emergency!

 

 

URGENCE

A la liberté je dis :
nous sommes derrière la clôture du temps
derrière les barbelés de ces barbares

A toi comme à moi-même
pour la guerre-devinette
je vais déchirer les années mortes
et dédoubler le parcours pour ne pas m’évader

Aux compagnons d’exil devenus aveugles :
pourquoi hurler dans la gorge des tombes des victimes ?
Je ne tatouerai plus le deuil sur la poitrine de l’histoire
Seulement pour leur éloge
et pour ceux qui vont mourir là-bas je vais tailler mes mots

A toi comme à moi-même
pour des opprimés devenus fossoyeurs d’innocents
avec des étoiles orphelines
j’ai déjà décimé des membres d’enfants
sur le chemin qui dévore les vivants

Amis d’épaves
que veut dire une assiette vide ?
Et sur une table sans tendresse :
un matin qui ne vient pas
un nuage sur le toit
et un soleil sans hommes ?

Amis, virils mais peut-être loin de ceux qui vont mourir
et dont mon regard suit la trace grave et solitaire
votre mirage festif est assassin
car personne n’existera dans le cri de la guerre
tandis que vous vous mirerez dans nos sanglots
et piétinerez notre coeur jusqu’à l’aube

Amis lâches
après les cendres
je ne rêverai plus de la rivière gelée au pied de la colline
je ne prierai plus sur la blessure de mon père
ni sur la rive des ruisseaux d’autrefois
je ne boirai plus de cette pluie
que noie le sourire de l’Euphrate.

                                                                                 (1er janvier 2005)

Salah Al Hamdani né à Bagdad en 1951,  Urgence in Bagdad mon amour suivi de Bagdad à ciel ouvert, Editions Le Temps des cerises, Paris, 2014, pp. 94-95, est un poète et homme de théâtre français d’origine irakienne. Il a quitté l’Irak en 1975 pour la France, s’est opposé à la dictature de Saddam Hussein. Il s’agit du récit du retour de Salah Al Hamdani à Bagdad le 2 avril 2004.

 

 

 

EMERGENCY

To freedom I say:
we are behind the fence of time
behind the barbed wire of these barbarians…

To you as well as to myself
for the war-riddle
I’m going to tear up the dead years
and split the route so I don’t escape

To the companions in exile who have gone blind:
why scream down the throats of the victims’ graves?
I will no longer tattoo mourning on the chest of history…
Only for their praise
and for those who will die out there, I’m going to carve my words…

To you as well as to myself
for the oppressed who have become gravediggers of the innocent.
with orphan stars
I’ve already ddismember children’s limbs…
on the path that devours the living

Friends of wrecks
what does an empty plate mean?
And on a table without tenderness:
a morning that doesn’t come
a cloud on the roof
and a sun without men?

Friends, manly but far from those who will die
and whose my gaze follows the serious and lonely trace gaze
your festive mirage is murder
for no one will exist in the cry of war…
while you’ll be sobbing in our faces…
and trample on our hearts until dawn.

Cowardly friends
after the ashes
I will no longer dream of the frozen river at the foot of the hill…
I will no longer pray over my father’s injury…
nor on the banks of the brooks of yesteryear…
I won’t drink any more of this rain
that drowns out the smile of the Euphrates.

                                                                                                     (January 1, 2005)

Salah Al Hamdani, born in Baghdad in 1951, Urgence in Bagdad mon amour suivi de Bagdad à ciel ouvert, Editions Le Temps des cerises, Paris, 2014, pp. 94-95, is a French poet and theatre-maker of Iraqi origin. He left Iraq in 1975 for France, opposed the dictatorship of Saddam Hussein. This is the story of Salah Al Hamdani’s return to Baghdad on 2 April 2004.

14 commentaires Ajouter un commentaire

  1. C’est très beau.
    Bonne journée, John !

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    1. ibonoco dit :

      Merci de tes mots Jean-Louis
      Bon dimanche
      John

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  2. Beau, mais sombre! On sent de la douleur.

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Oh que oui. Plus de trente ans d’exil

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    2. ibonoco dit :

      Effectivement, l’écriture lui a permis de vivre avec.

      J’aime

  3. karouge dit :

    cet auteur me rend dingue ! ses écrits sont d’une beauté « terrible ». Merci pour les références, je vais (enfin) aller commander un de ses bouquins chez ma libraire!

    J’aime

  4. iotop dit :

    Bon jour John,
    Un texte cruellement écrit, aux mots … blessures ouvertes ….
    Bonne journée John
    Max-Louis

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    1. ibonoco dit :

      Bonsoir Max-Louis,
      Un texte qui vient des tripes, de la douleur, du deuil, de l’exil.
      Bonne soirée Max-Louis
      John

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  5. Mots terribles et beaux de cet homme qui n’a pas du retrouver l’âme de son pays. Belle fin de journée John et amitiés.

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    1. ibonoco dit :

      Bonsoir Carherine,
      Cet homme a apparemment beaucoup perdu et grâce aux mots, à la poésie, il a pu transformer ses drames personnels en un recueil de poésies magnifiques.
      Belle soirée Catherine
      Amitiés 😊
      John

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  6. colettedc dit :

    Des mots magnifiques au-delà de la souffrance !
    Bon matin de ce lundi John,
    Amitiés♥

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    1. ibonoco dit :

      Bonjour Colette,
      Plus je lis ce poète, plus je trouve que c’est un grand poète contemporain. Tu as raison. Ses mots sont magnifiques parce que ses mots viennent de ses maux. Ils sont réels.
      Belle journée Colette
      Amitiés
      John

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  7. Latmospherique dit :

    Tu me l’as fait découvrir et ses mots sont superbes. Un cri du coeur qui porte haut et résonne dans le nôtre.
    Merci John et belle journée

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    1. ibonoco dit :

      Bonjour Marie,
      J’aime beaucoup ses textes. Plus je les lis, plus je suis impressionné par la puissance, le réalisme, la douleur et la tristesse de chacun de ses mots : de la pure poésie.
      Amitiés Marie
      John

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