An evening at the EMPIKA

 

(Réédition du 6 juillet 2018 et novembre 2018)

Une soirée à l’EMPIKA

Il fait déjà nuit et presque froid du côté de la rue piétonne des Marronniers ce soir-là. Ça commence à grouiller sur les trottoirs. La foule est de sortie, on peut entendre la ville qui s’agite et veut faire la fête. A partir du jeudi soir, les portes d’entrée des bars et pubs de Lyon attendent l’étudiant sans le sou, les bons clients du week-end et l’effervescence de cinq heures du matin quand l’ivresse est bien là. Un dernier verre ! Et encore un dernier, juste un dernier, histoire de ne pas repartir que sur une jambe. Une dernière bouteille de champ… Chacun y trouve son compte, le tenancier et le client, le tiroir-caisse et le foie du noctambule, le prédateur en costard et sa proie en manque de sexe. Ensuite, on ira manger une escalope à la crème au Café du Marché ou au Bistrot de la Passerelle, quai Saint-Antoine, le tout accompagné d’un ou deux pots de Côte, d’un pot de blanc…

La rue des Marronniers est déjà toute éclairée. Ses vieux pavés rongés par la pluie reflètent la lumière des vitrines. Le choc des semelles des passants sur la pierre se propagent comme une onde tout le long de la rue pour s’évanouir rue de la Barre ou du côté de la place Antonin Poncet. Des odeurs de cuisine, de persillade, de viande grillée s’échappent des portes de service pour venir chatouiller le nez du premier venu. Dans les restos, on s’affaire : on est prêt ! On attend le chaland sans l’appâter. Les frigos sont pleins, le comptoir en zinc est propre, les tables bien dressées, le pain coupé en tranche dans les corbeilles. Les pots lyonnais de 46 cl sont biens rangés. Les tartes aux pralines et tartes tatin se serrent docilement les unes contre les autres sur une petite table près des cuisines. Les tabliers de sapeur et autre salade lyonnaise n’ont qu’à bien se tenir, l’appétit du gourmet fera le reste en ne laissant aucune miette dans l’assiette. La mise en place, ça c’est du boulot ! mais il faut savoir recevoir le client. Une dose de politesse, une bonne dose de rudesse selon la tradition lyonnaise des bouchons et le chiffre d’affaires sera bon. Pas de chiffres d’affaires sans clients, pas d’affaires qui roulent sans clients qui ne reviennent pas.

En attendant, nous, on veut passer un bon moment, une bonne soirée dans un endroit sympa, chaud et tamisé, avec un bon fond musical. Au 7 de la rue des Marronniers, il y a ce pub accueillant, L’EMPIKA . Il y fait bon s’arrêter boire quelques verres entre potes à l’heure de l’apéro ou bien plus tard dans la soirée. La décoration est faite de reproductions de toiles de Lempicka accrochées un peu partout. Ici, les cocktails sont excellents, le barman et boss Philippe est un as du shaker et un véritable fumeur de gitane brune – il en reste encore. Ses créations à base de rhum, de whisky, de gin ou de vodka portent toutes un nom de peintre. Après tout, l’alcool et la culture forment un couple comme un autre. Et c’est vrai qu’il a du métier et des milliers d’heures de travail dans les pattes. Il a quitté la Vieille Rhumerie, Josette, le quai Romain Rolland, le Vieux-Lyon pour s’installer sur la presqu’île dans le deuxième. Sacrilège ! il a franchi la Saône, son affaire ne marchera jamais ! Mais surtout, qui aura envie de traverser la Saône pour aller se perdre rue des Marronniers ? On est si bien sur les quais ou dans les rues du Vieux-Lyon, entre gens de bonne compagnie…

Le froid humide de cette fin d’automne te pousse franchement à l’intérieur, d’un coup sec. Une bouffée de chaleur te prend au visage immédiatement ; ça fait du bien de retrouver une ambiance un peu plus cosy, plus feutrée. Tu te sens rapidement à l’aise, chez toi. Le patron, lui, t’accueille toujours aimablement : « Salut les p’tits, on est de sortie ce soir ? Qu’est-ce que je vous sers ? Comme d’habitude ? ». Il faut bien dire qu’il commence à te connaître depuis tout ce temps, t’as bossé pour lui en extra comme un esclave, ça compte… Avec mes potes et mon frère, on s’assied au comptoir, toujours au comptoir. Les tables à l’étage ou dans les autres salles du pub sont pour les clients à la recherche d’un peu plus d’intimité, pas pour nous. Les verres de gin tonic, de whisky coca et de bières se remplissent et se vident. Quand vient la nuit, à L’EMPIKA, le temps n’existe plus. Les discussions improbables s’enchaînent sans histoire avec de parfaits inconnus, les rires explosent de temps à autre.

Tard dans la nuit, il y a souvent Francis, accroché au bar, mélancolique, qui vient de terminer son service. Il ne le sait pas encore mais quelques années plus tard, il sera fauché par un véhicule quai de Pierre-Scize. On ne retrouvera que l’une de ses jambes dans la Saône. Il y a encore ce bon vieux Daniel. Un véritable expert en art mais qui vient de sortir de taule pour escroquerie. A force de revendre dix fois le même tableau, cela finit par se voir. Lui en revanche, il sait bien qu’il n’en a plus pour très longtemps. Sa maladie et ses taches se voient sur sa peau. Il est loin le temps de la Cour des Loges, le temps où il payait sa tournée en bouteilles de champagne à des inconnus attablés dans les pubs ou bars de Saint-Jean. Aujourd’hui, il a encore du panache et de la classe mais ses fringues sont usées. Et la Claudia, toujours la même, il vient boire des coups après le tapin, juste avant de finir à La Petite Taverne, rue René Leynaud dans le 1er.

Les heures défilent et défilent encore, à leur rythme. Les cendriers se remplissent de mégots encore fumants. On a quitté David Bowie pour de la musique Dance du moment. Ce n’est pas de la techno de Détroit ou de la House de Chicago mais bon, L’Empika n’est pas un club branché et encore moins une rave. Les salles se vident peu à peu puis complètement. La fermeture approche… peut-être. Au comptoir, il y a encore de l’agitation, de la vie et de l’argent à dépenser. Odin, le chien du patron, couché sous la caisse attend sagement la fin de la soirée, fin qui apparemment n’est pas prête de s’annoncer…

Ibonoco

An evening at the EMPIKA

It was already dark and almost cold on the side of the pedestrian street of Les Marronniers that evening. It’s starting to swarm on the sidewalks. The crowd is out, you can hear the city that is restless and wants to celebrate. From Thursday evening, the entrance doors of Lyon’s bars and pubs await the penniless student, the good weekend customers and the excitement of five in the morning when the drunkenness is there. One last drink! And one last one, just one last one, so that you don’t just leave on one leg. A last bottle of field… Everyone finds his or her interests at heart, the owner and the client, the cash drawer and the liver of the night owl, the predator in a suit and his or her prey in need of sex. Then, we will eat a cream escalope at the Café du Marché or at the Bistrot de la Passerelle, quai Saint-Antoine, all accompanied by one or two pots of Côte, a pot of white….

The rue des Marronniers is already fully lit. Its old cobblestones gnawed by rain reflect the light of the windows. The shock of the soles of passers-by on the stone spreads like a wave all along the street to vanish into thin air on rue de la Barre or on the side of Place Antonin Poncet. Smells of cooking, parsley, grilled meat escape from the service doors to tickle the nose of the first person to come along. In restaurants, we’re busy: we’re ready! We wait for the barge without baiting it. The fridges are full, the zinc counter is clean, the tables well laid, the bread sliced in the baskets. The 46 cl Lyon pots are well stored. The praline pies and tatin pies gently squeeze together on a small table near the kitchens. The aprons of sappers and other Lyon salads only have to be well kept, the gourmet’s appetite will do the rest by leaving no crumbs on the plate. Setting up is a lot of work, but you have to know how to receive the customer. A dose of politeness, a good dose of harshness according to the Lyon tradition of corks and the turnover will be good. No turnover without customers, no turnover without customers who do not return.

In the meantime, we want to have a good time, a good evening in a nice, warm and subdued place, with a good musical background. At 7 rue des Marronniers, there is this welcoming pub, L’EMPIKA. It’s a good place to stop for a few drinks with friends at cocktail time or later in the evening. The decoration is made of reproductions of Lempicka’s paintings hung everywhere. Here, the cocktails are excellent, the bartender and boss Philippe is a shaker’s ace and a real brown gypsy smoker – there are still some left. His creations based on rum, whisky, gin or vodka all have a painter’s name. After all, alcohol and culture are a couple like any other. And it’s true that he has a job and thousands of hours of work to do. He left the Old Rumery, Josette, the Romain Rolland Quay, the Old Lyon to settle on the peninsula in the second one. Sacrilege! He crossed the Saône, his business will never work! But above all, who will want to cross the Saône to get lost in rue des Marronniers? We are so well on the quays or in the streets of Old Lyon, among people of good company….

The damp cold of this late autumn pushes you straight inside, all of a sudden. A hot flash immediately catches you in the face; it feels good to find a more cosy, hushed atmosphere. You quickly feel comfortable at home. The boss always welcomes you kindly: « Hi, little ones, are we going out tonight? What can I get you? As usual? ». I must say that he’s been getting to know you all this time, you worked for him extra like a slave, that counts… With my friends and my brother, we sit at the counter, always at the counter. The tables on the first floor or in the other rooms of the pub are for guests looking for a little more privacy, not for us. The glasses of gin and tonic, whisky and cola and beer are filled and emptied. When night comes, at EMPIKA, time no longer exists. The improbable discussions follow one another without a hitch with complete strangers, laughter explodes from time to time.

Late at night, there is often Francis, clinging to the bar, melancholic, who has just finished his shift. He did not know it yet, but a few years later, he was hit by a Pierre-Scize quay vehicle. Only one of his legs will be found in the Saône. There’s still good old Daniel. A real art expert but who just got out of jail for fraud. By selling the same painting ten times over, you can see it. He, on the other hand, knows that he won’t be much longer. His disease and stains can be seen on his skin. It is far away the time of the Court of Lodges, the time when he paid for his tour in champagne bottles to strangers sitting at tables in Saint John’s pubs or bars. Today, he still has panache and class, but his clothes are worn. And the Claudia, still the same, he comes to drink drinks after the hooker, just before finishing at La Petite Taverne, rue René Leynaud in the 1st.

The hours pass by and pass by again, at their own pace. The ashtrays are filled with cigarette butts that are still smoking. We left David Bowie for Dance music of the moment. It’s not Detroit techno or Chicago House but, well, L’Empika is not a hip club and even less a rave. The rooms are gradually being emptied and then completely emptied. The closure is coming… maybe. At the counter, there is still a lot of excitement, life and money to spend. Odin, the boss’s dog, lying under the crate, waits quietly for the end of the evening, an end that apparently is not about to be announced…
Ibonoco

 

22 commentaires Ajouter un commentaire

  1. bigskybuckeye dit :

    Quite an evening! The sights and smells are masterfully written.

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    1. ibonoco dit :

      Good morning,
      Thank you for enjoying these memories from another time.

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      1. bigskybuckeye dit :

        John, your posts always open my eyes wide in appreciation of the world around us. There is so much creativity in music and literature.

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        1. ibonoco dit :

          Thank you, really! And I discover the world also by reading other bloggers’ texts. And last but not least, it’s a pleasure to exchange with you

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  2. J’aime beaucoup cette peintre..

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    1. ibonoco dit :

      Me too Mélie. 😊

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  3. Jeanne Glaude dit :

    Joyeux Noël ami , mais avec prudence !

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    1. ibonoco dit :

      Merci Jeanne Claude 😊
      Joyeux Noël à toi aussi
      Bises
      John

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  4. marie dit :

    Bonjour John, que j’ai aimé lire « cette tranche de vie », tellement bien décrite que je me voyais au Bar de l’Empika, bisous et bonne journée MTH

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    1. ibonoco dit :

      Bonjour Marie,
      Allez ! C’est ma tournée 😊
      Bon dimanche
      Amities
      John

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  5. Dominique dit :

    Parfois des hommes écrivent en se mettant dans la peau d’une femme. Je trouve cela très fort quand illusion est bonne. Mais bien entendu si le même texte était écrit par une femme, il y a de fortes chances qu’il change de ton. Dans ce texte que je viens de lire il n’y a aucun doute possible : il est bien écrit par un homme et je dirai presque : pour des hommes. Bien sûr je sais que c’est toi qui l’a écrit, mais ce n’est pas pour cela que je constate ce que j’écris plus haut. C’est parce que les nostalgies ne se racontent pas de la même façon… Ne vois là aucun sexisme, loin de moi ces âneries ! c’est juste un… ressenti de lectrice.

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    1. ibonoco dit :

      Bonjour Dominique,
      Je te rejoins sur beaucoup de points. Cependant, ce texte est écrit pour tout le monde.
      C’est juste un petit morceau de passé, un fragment de mémoire… 😊
      Bon après-midi
      John

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  6. Belle évocation d’un lieu et de son atmosphère!

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    1. ibonoco dit :

      Merci Marie-Christine 😊

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  7. Solène Vosse dit :

    J’adore John. J’adore ces textes que tu as écrits. La description, l’atmosphère, c’est comme si on y était avec cette envie de faire la fête, boire, manger, écouter de la musique, refaire le monde entre noctambules… arrêter le temps pour qq heures, la nuit, ou toute une saison…. MERCI pour ce partage. Mais tu sais quoi ? J’en redemande. Encore et encore.
    Beau dimanche soir à toi. Bisous, et à bientôt. Au plaisir de te lire.
    SOlène

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    1. ibonoco dit :

      Bonjour Solène,
      Je te remercie tout d’abord d’avoir capté cette ambiance pour « noctambules avertis »😊 et surtout d’avoir apprécié.
      J’essaierai de me remémorer quelques petits souvenirs et de les faire revivre.
      Beau dimanche soir Solène.
      Profite
      Amities
      John

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  8. Michel Collart dit :

    Ce n’est pas bien John… ce texte donne trop envie de traîner et de boire ! 😂

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    1. ibonoco dit :

      Allons Michel,
      Un peu de de retenue. Juste un verre et on rentre. 😊

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  9. colettedc dit :

    Superbe, encore, cette page, John !
    Bon début de semaine et JOYEUX NOËL !
    Amitiés♥

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    1. ibonoco dit :

      Bonjour Colette,
      Merci !
      Bon lundi et passe un bon réveillon de Noël en famille et entre amis.
      Amities.
      John

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  10. J’aime bien, même beaucoup quand tu nous racontes tes histoires de pérégrinations dans ton beau Lyon ! Ça donne envie d’aller boire un verre tiens 😊
    Joyeux noël à toi, et bonne soirée John. Bise amicale.

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    1. ibonoco dit :

      Merci Catherine,
      J’apprécie le compliment.
      J’essaierai d’écrire d’autres fragments lyonnais. 😊
      Joyeux Noël
      Amities
      John

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