LE TEMPS DES COPAINS

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LE TEMPS DES COPAINS

A mon ami Christophe

C’était il y a déjà bien longtemps au siècle passé…

Un autre temps où les vents d’automne aux saveurs tièdes et humides emportaient la petite feuille encore verte tombée du grand tilleul au tronc solide de la cour d’école, loin, très loin dans les airs, bien au-dessus des rêveries de mer, de vacances et de sable d’un été encore chaud de ces petites têtes se tortillant sur leur banc d’écolier alors qu’elles tentent de résoudre un problème de fuite d’eau d’une baignoire et qu’il est à peine quatorze heures. L’après-midi sera long, interminable, se renouvelant ainsi sans cesse de semaine en semaine depuis la rentrée scolaire de la mi-septembre… mais l’après-midi sera beau et bon parce que tous les copains sont là pendant la récréation avec leurs histoires drôles, leurs blagues à deux balles, leurs sacs de billes, revêtus de leur blouse parfois un peu trop grande pour leurs petits corps qui ne demandent qu’à grandir sous le soleil et le sourire d’une vie qui a éclos il y a peu…

Une autre époque, insouciante, délicieuse et colorée aux parfums de ces matins où il suffisait de respirer la fraîcheur de l’air à pleins poumons pour se sentir vivant, juste vivant, de la tête aux pieds, sans questions ni compromis, sans colère ni haine, juste vivant le sourire aux lèvres, l’âme légère, le cœur en émoi pour un petit rien, le bleu d’un regard furtif qui disparaît à jamais, la chaleur de la paume d’une main enserrant quelques instants un bras timide, un premier rendez-vous, un premier baiser sur un front qui aujourd’hui encore résonne comme un écho dans la nuit de mes souvenirs…

Voilà le printemps ! Voilà le printemps du haut de ses dix-sept ou dix-huit ans, frétillant au premier battement d’aile de l’hirondelle et rêvant de prendre son envol en direction de la cour des grands… mais il est encore trop tôt, bien trop tôt, patience petit homme ! Et la patience, elle, ne sait pas attendre, alors tous les jours à chaque intercours, ça discute ferme entre potes, ça fomente des coups d’épée dans l’eau, ça trame, ça fume une clope, ça discute dur, ça parle de la sortie du prochain week-end ; et le soir venu, tout ce petit beau monde rentre bien sagement du lycée pour retrouver le chaos de sa chambre, les bouquins de cours de la veille encore par terre à côté des chaussettes sales, des pantalons froissés et des caleçons qui ne demandent qu’à être lavés. Sur la platine, un trente-trois tours des Stanglers tourne nonchalamment et laisse monter dans l’atmosphère quelques douces notes pour mélodies félines jusqu’au bout de la nuit, comme « un rêve d’été de minuit en contemplant la pluie… »

Voilà le temps des copains et des amitiés indéfectibles qui vient tranquillement tel un chat, le pas assuré, à la rencontre d’un destin en éveil ne demandant qu’à embrasser le monde, tout le monde de son regard curieux… Voilà le temps de la fraternité dans toute sa beauté et parfois sa stupidité, une fraternité taillée dans le marbre de la chair, loin des frontispices vieillots de la République mais proche du coeur de ses enfants, une fraternité naissante qui unira pour la vie le refrain des matins joyeux aux danses macabres des coups durs de la nuit.

Voici venu le temps des grands secrets de l’existence enfin dévoilés à la jeunesse par les grands auteurs eux-mêmes, voici venu le temps de l’optimisme, le vrai, le seul, l’unique, celui qui te prend énergiquement la main pour te mener à toi-même et qui te murmure à l’oreille cette petite sentence de Nietzsche entendue en philo il y a seulement quelques semaines : « deviens ce que tu es ! ». Et voici enfin venu le temps des grandes rencontres, celles qui nous lient dans le temps et même au-delà parce que tu le ressens au fond de toi, tout au fond, ce sentiment très fort, ce lien du sang qui n’est pourtant pas fait de sang mais d’amitié.

L’amitié ? Cette belle chose née de l’instinct, de l’émotion, du coeur et de la rencontre de l’autre, de celui ou de celle qui ne pensait même pas croiser ton chemin ce matin-là alors qu’il prenait ce bus des transports en commun rouge et blanc, bondés de travailleurs, d’étudiants et de lycéens pour venir s’asseoir à la même table que toi, sur la chaise d’à côté, au deuxième ou troisième rang de la classe, en face du tableau noir tenu par un prof d’anglais en vieux costard gris et à la calvitie déjà très avancée. Alors, ce jour-là, à ce moment-là très précis, l’amitié, cette petite chose presque invisible pour l’oeil, venait de naître en silence dans la classe d’un vieux lycée public de Lyon 8ème, une toute petite chose qui grandira au fil des jours, des semaines puis des années laissant ainsi germer un peu de joie, des rires, des bons moments et une solidarité à toute épreuve…

Ibonoco

Traduction approximative

THE TIME OF THE BUDDIES

To my friend Christophe

That was a long time ago in the last century…

Another time when the warm and humid autumn winds carried the little green leaf that fell from the big lime tree to the solid trunk of the schoolyard, far, far away in the air, well above the sea, holiday and sand reveries of a still warm summer of these little heads squirming on their school bench as they try to solve a water leak problem from a bathtub and it is only fourteen hours away. The afternoon will be long, endless, renewing itself constantly from week to week since the beginning of the school year in mid-September… but the afternoon will be beautiful and good because all the friends are there during recess with their funny stories, their two-bit jokes, their marble bags, dressed in their blouse sometimes a little too big for their little bodies that just want to grow up under the sun and the smile of a life that has recently begun…

Another era, carefree, delicious and colourful with the scents of those mornings when all you had to do was breathe the freshness of the air with your lungs to feel alive, just alive, just alive, from head to toe, without questions or compromises, without anger or hatred, just living with a smile on your lips, a light soul, the warmth of the palm of one hand enclosing a timid arm for a few moments, a first appointment, a first kiss on a forehead that still resonates today like an echo in the night of my memories…

Spring is here! Here comes spring from the top of his seventeen or eighteen years old, wriggling at the first wing-beat of the swallow and dreaming of taking off towards the court of the great… but it is still too early, far too early, patience, little man! And patience doesn’t know how to wait, so every day on every intermission, it’s a good discussion between friends, it foments swordplay in the water, it weave, it smokes a cigarette, it talks hard, it talks about the release of the next weekend; and in the evening, all this beautiful little people come home quietly from school to find the chaos of their room, the school books from the previous day still on the floor next to dirty socks, crumpled trousers and boxers that just need to be washed. On the turntable, a thirty-three laps of the Stanglers turn nonchalantly and let rise in the atmosphere some sweet notes for feline melodies until the end of the night, like « a midnight summer dream when contemplating the rain… »

Here is the time for friends and unfailing friendships that quietly comes like a cat, the step assured, to meet an awakening destiny just waiting to embrace the world, everyone with his curious look…. This is the time of brotherhood in all its beauty and sometimes stupidity, a brotherhood carved in the marble of the flesh, far from the old frontispieces of the Republic but close to the hearts of its children, a nascent brotherhood that will unite for life the chorus of joyful mornings with the macabre dances of the hard blows of the night.

Here comes the time of the great secrets of existence finally revealed to youth by the great authors themselves, here comes the time of optimism, the true, the only, the only, the only, the one who takes you energetically by the hand to lead you to yourself and who whispers in your ear that little Nietzsche sentence heard in philosophy only a few weeks ago: « become what you are! ». And here finally comes the time of great encounters, those that bind us in time and even beyond because you feel it deep within you, deep down, that very strong feeling, that bond of blood that is not made of blood but of friendship.

Friendship? This beautiful thing born of instinct, emotion, heart and meeting the other, the one who didn’t even think he or she would cross your path that morning when he or she was taking that red and white public transit bus full of workers, students and high school students to come and sit at the same table as you, on the next chair, in the second or third row of the class, in front of the blackboard held by an English teacher in an old grey suit and already very advanced baldness. So, on that day, at that very precise moment, friendship, that little thing almost invisible to the eye, had just been born in silence in the classroom of an old public high school in Lyon 8th, a very small thing that will grow over the days, weeks and years, thus allowing a little joy, laughter, good times and solidarity to sprout….

Ibonoco

36 commentaires Ajouter un commentaire

  1. princecranoir dit :

    Très beau texte sur les plus belles années, dit-on. Le temps de l’aventure, toujours ensoleillé dans nos mémoires (it’s always the sun chantaient les Stranglers)…

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    1. ibonoco dit :

      Merci, j’apprécie vraiment.
      Les plus belles années ou celles dont veut se souvenir. Always the Sun 😊. Peut-être les deux. Il faudra que je développe un peu dans un autre texte.

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    1. ibonoco dit :

      Merci Marie-Christine,
      Une époque sympa 😊

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  2. Joli texte nostalgique, mais lumineux. Merci. L’accompagnement musical va bien aussi, je trouve.

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    1. ibonoco dit :

      Merci Clovis, j’apprécie.
      Je suis toujours nostalgique mais il est parfois difficile de faire autrement.
      Bel après-midi
      Amicalement
      John

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  3. Jeanne D'arc dit :

    Merci c est vraiment un beau texte

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    1. ibonoco dit :

      Merci Jeanne,
      J’apprends vraiment votre – ou ton – compliment. Je vous ai écrit quelque chose sur la sincérité de votre dernier texte, c’est aussi ce que j’essaie de faire avec les miens, y mettre de la sincérité.

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  4. Très beau texte sur l’amitié.

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    1. ibonoco dit :

      Merci Francine.

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  5. Un bien beau texte pour ces jours de pluie qui commencent à s’installer.
    Très belle journée à toi, John.

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    1. ibonoco dit :

      Merci l’ami. Bel après-midi 😊
      Amities
      John

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  6. marie dit :

    Bonjour, quel texte!!! magnifique, mes plus belles années où tout est à venir… Bonne fin de journée amitiés MTH

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    1. ibonoco dit :

      Bonjour Marie,
      J’apprécie vraiment. Savoir que ce texte peut toucher une personne est un vrai cadeau pour moi.
      Amities
      John

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  7. Très beau texte, à la fois nostalgique et terriblement « vivant ». A quelques détails près, les images, mes images, se superposaient aux tiennes. Bel hommage à l’amitié, à ce temps d’avant, qui certes ne reviendra pas, mais qui a eu le mérite d’exister dans le plein soleil de ces années-là.
    Plein de bonnes choses à toi, John ! Quel bonheur de te lire !
    Biz et amitié de Dom

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    1. ibonoco dit :

      Bonjour Dom,
      Tu as bien saisi au vol l’âme de ce texte. Nos vies ont traversé des époques certainement les mêmes. La sensibilité était déjà en nous.
      Je suis également touché que tu me dises que tu trouves du bonheur à le lire. Comme je l’ai dit à Marie, pour moi, c’est un vrai cadeau et cela éclaire un peu ma journée. Alors c’est moi qui te remercie.
      Amities
      John

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      1. C’est la magie des échanges. Une certaine similitude d’âme. Ça ne s’explique pas 🙂
        A bientôt, John !

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        1. ibonoco dit :

          A bientôt Dom 😉

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        2. Oui, à très bientôt !
          Biz et amitié 🙂

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        3. ibonoco dit :

          Biz et belle soirée.
          Amities
          John

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  8. gibulène dit :

    quelle chance il a Christophe de recevoir ce témoignage ! bises John

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    1. ibonoco dit :

      Bonjour Hélène,
      Et j’ai aussi de la chance de l’avoir comme amis depuis tant d’années. Et j’ai aussi de la chance de pouvoir échanger grâce à l’écriture comme on le fait.
      Bises Hélène
      Amities
      John

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  9. C’est superbement touchant ce texte et ces souvenirs. Communs et en même temps si différents de l’un à l’autre.
    Merci John, j’ai passé un excellent moment autour de cette amitié.

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    1. ibonoco dit :

      C’est moi qui te remercie. Le plaisir que l’on prend à écrire comme tu le sais est encore plus grand quand le texte ou le poème touche l’émotion de celui qui le lit. Échanger c’est aussi la vie. Alors merci
      Amities
      John

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  10. Cher John…

    Tu racontes si bien…Il y a tant d’images qui se greffent à tes mots…
    Être toujours en relation avec un ami de si longue date est un cadeau du ciel…

    Et un cadeau pour moi également…Je revois tant de beaux moments de ma jeunesse avec ces filles aussi fofolles que moi…Nous avons tellement ri et nous n’avions peur de rien…ou presque…Je revois deux d’entre elles encore aujourd’hui.

    Christophe et toi devez en avoir long à vous remémorer lors de vos rencontres…

    Je te souhaite une excellent soirée
    Mes amitiés
    Manouchka

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    1. ibonoco dit :

      Bonsoir Manouchka,

      Tout d’abord, je te remercie d’apprécier mes mots et la façon dont j’essaie de les dire.

      Et j’aime également beaucoup ces fragments de souvenirs que tu me fais partager et qui font totalement écho Au temps des copains. Et tu vois, comme tu l’écris, j’arrive à imaginer parfaitement, par analogie, les fofolles que vous pouviez être. Et comme moi, tu as su conserver ces amitiés.

      Aujourd’hui, les amis se font plus rares mais Christophe est toujours là tel un frère. Et effectivement, nous reparlons souvent des vieilles histoires. Il a toujours ce rire qui éclate, puissant, communicatif et joyeux.

      Je te souhaite également une belle soirée
      Amities
      John

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  11. Christian dit :

    Un merveilleux texte que j’ai beaucoup apprécié rappelant le temps de notre jeunesse insouciante mais heureuse.
    Merci John. Bonne soirée . Amitiés.

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    1. ibonoco dit :

      Bonjour Christian,
      Les souvenirs sont ainsi, ils frappent à la porte et nous leur faisons une place. Ceux de notre jeunesse ont raison de se manifester pour nous montrer que le vie peut être insouciante, de temps en temps.
      Bonne journée Christian
      John

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  12. colettedc dit :

    Comme c’est bon de lire et de revivre ces années du passé ; un passé qui reste à jamais gravé dans nos coeurs !!! Magnifique texte, Johan ! Bonne journée de ce jeudi ! Amitiés♥

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    1. ibonoco dit :

      Bonjour Colette,
      Je te remercie sincèrement. J’apprécie tes mots. J’aime faire revivre à ma façon les moments d’un temps passé parce qu’ils sont en nous, ils sont notre histoire.
      Belle journée Colette,
      Amities
      John

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  13. J’ai apprécié aussi le souvenir de ces belles années, qui furent pour moi aussi, celles de tous les rêves et de tous les possibles. Et j’espère que les enfants qui sont aujourd’hui sur les bancs de l’école rêvent, mordent et désirent aussi la vie autant que nous pouvions le faire.
    Merci pour cette belle description pleine de sensibilité et de charme John. Belle fin de journée. Amitiès.

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    1. ibonoco dit :

      Bonsoir Catherine,
      Les belles années de l’insouciance sont passées si vite qu’il me faut les retenir un peu par l’évocation de souvenirs qui me reviennent.
      Merci à toi Catherine d’apprécier ces mots.
      Je suis certain que les ados d’aujourd’hui rêvent encore. Ils me le prouvent tous les jours.
      Amities et belle soirée 😊
      John

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  14. Michel Collart dit :

    Très belle atmosphère et qui tombe à pic dans ma petite vie. Quand j’ai un peu de blues, une ou deux fois par an, j’appelle mon plus vieil ami d’enfance, Jean-Marie, qui vit seul et à qui je ne rends pas assez souvent visite. Hier soir, je lui ai téléphoné et on ne s’était plus vu ni parlé depuis exactement 13 mois. »Salut Jean-Marie, c’est Michel, comment vas-tu, qu’est-ce que tu fais ? – Comme dab quand tu m’appelles, je mets ma veste et je viens boire un verre avec toi au Café de la Bourse dans dix minutes ». Comme ça, sans raison, tout de suite, comme il y a plus de cinquante ans 😉

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    1. ibonoco dit :

      Bonsoir Michel,
      Je m’aperçois que nous sommes quelques uns et peut-être beaucoup à avoir conservé quelques amitiés solides au cours des années.
      Merci d’avoir partagé tes états d’âme. C’est aussi cela la magie de l’écriture, réveiller chez l’autre, des émotions ou des souvenirs.
      Belle nuit Michel. 😊

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