L’amour d’une mère

 

 

LA DANSE DE L’ARSOUILLE

Tout est dans le geste, dans les vibrations de son corps et dans le balai continu de ses mains manucurées qui s’ouvrent sur le vide comme pour se saisir d’une vérité impalpable et absolue… Des mains qui s’ouvrent pour se refermer ensuite précipitamment sur un verre de rouge ou de rosé dont l’existence éphémère ne durera que le temps d’une ou deux gorgées, le temps d’un ricanement ou deux, le temps de croire que la puissance de l’Homme naît de l’empire alcoolique.

Une bouffée de chaleur court le long de son corps, parcourt son visage et vient embrumer un cerveau déjà dérangé par de longues et fidèles années de pratiques au service du diable. Puisqu’il faut être fidèle dans cette vie ou dans une autre, autant choisir son partenaire avec soin et Bacchus est un bon parti. Avec lui, les tracas du quotidien s’effacent et laissent place à la beauté de l’ivresse pure et à l’amnésie… Le balai des mains se poursuit frénétiquement de verre en verre, de gorgée en gorgée, les lèvres couleur tanin murmurant à ses jeunes enfants – présents – que la vie ne vaut d’être vécue sans un verre de vin.

Tout est dans le mouvement de ses pieds : deux pas de flamenco et trois de tango… Olé y olé ! Et c’est reparti de plus belle – la soirée sera longue, l’alcool fait son œuvre sur un cerveau déjà bien habitué à ses effets. Une gorgée de plus, une bouffée de chaleur de plus, le regard flou, une haleine qui vacille sous les coups des degrés alcooliques. Soudain, elle s’arrête brutalement au beau milieu de sa danse, le corps en attente et laisse échapper quelques mots dans l’air en articulant – miraculeusement – à la perfection chaque syllabe : du vin ! Toujours du vin ! Encore du vin ! Et ses lèvres couleur tanin murmurent dans le vide que la vie n’est pas la vie sans un verre de vin, devant ses jeunes enfants toujours présents.

Ce soir, elle mène la danse comme elle l’a d’ailleurs menée toute sa vie ; une vie ne laissant derrière elle que ruines et désolation, incompréhension et drames. Ce soir, elle est la reine de la danse. Ce soir, le verbe est en deuil. Il a perdu de sa beauté et de sa force et s’est mis à l’abri, il n’entrera pas dans la danse, la violence de l’alcolo, ce n’est pas son truc. De toute façon, « ça finit toujours pareil, je connais trop bien ce film, ça finit toujours pareil, …sur le sol, sur le sol, je ferai semblant de pas voir ma mère sur le sol » ivre morte.

53 commentaires Ajouter un commentaire

  1. Belle description d’une buveuse!

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Description très atténuée…

      J’aime

  2. Jeanne Schmid dit :

    Bouhah! Désolée, je peux pas dire que j’aime….

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      C’est tout l’intérêt.

      J’aime

      1. Jeanne Schmid dit :

        On est bien d’accord! Alors j’aime pas, mais beaucoup!!!

        Aimé par 1 personne

        1. Jeanne Schmid dit :

          Que dire? Ce texte est magnifique, mais ce qu’il évoque me glace

          Aimé par 1 personne

        2. ibonoco dit :

          Oui, je comprends. C’est un texte qui peut déranger.
          L’alcoolisme est une maladie et un fléau pour ceux qui le supportent
          Excellente soirée

          Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Terrible en effet. C’est une tragédie…quotidienne pour beaucoup malheureusement.

      J’aime

  3. cela me fais songer à un excellent livre sur l’alcoolisme d’une femme qui perd tout du fait de son addiction.. Denis Michelis « État d’ivresse » 🙂

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Merci pour la référence. Je lirai cet ouvrage.
      Heureusement, depuis la scène du texte, des années ont passé. ,☺️

      Aimé par 2 personnes

  4. akimismo dit :

    Ça fait froid dans le dos! Mais quel réalisme dans la description. Comme pas mal de monde je bois paraît-il un peu trop mais je ne crois pas m’être laissé aller à l’état décrit. Trois ou quatre verres de rouge par jour, un petit coup de marc dans le café (Ici en Espagne on dit ‘carajillo’), éliminés par plein d’activités de bricolage, de jardin, d’entretien de la maison et des promenades avec nos basset’s hound. Bref: Savoir consommer avec modération. Mais qui a étalonneé quantitativement la modération?
    Merci pour cet exercice littéraire prenant aux tripes!

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Merci à toi d’avoir laissé tes impressions sur ce texte. Je te rejoins sur la consommation d’alcool.
      Excellente soirée 😊

      J’aime

  5. victorhugotte dit :

    Merci pour le partage de ce portrait difficile. Et l’accompagnement musical est de qui?

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Merci de l’attention que vous portez à ce texte.
      Le morceau musical est de Lompal et le titre, je ne l’ai plus en tête.

      Aimé par 1 personne

    2. ibonoco dit :

      Merci de l’attention que vous portez à ce texte.
      Le morceau musical est de Lompal et le titre : Sur le sol.

      Aimé par 1 personne

  6. Denis Morin dit :

    L’amour offert à vif !
    L’amour déshabillé
    Le vin à la limite de l’aigre
    L’assaisonnement d’une soirée…
    J’ai croisé quelques femmes

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      L’assaisonnement de soirées qui s’enchaînent, éloignant la personne de sa propre vie et d’elle-même devient un drame et une tragédie.

      J’aime

  7. Denis Morin dit :

    Quelques femmes crucifiées aussi…

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      L’alcoolisme est une vraie maladie qui détruit la vie du malade également.

      J’aime

  8. colettedc dit :

    Magnifique texte mais, quelle triste réaliré, hélas !
    Bon jeudi John, le premier de ce printemps.

    Aimé par 1 personne

    1. colettedc dit :

      … lire : réalité … bien entendu …

      Aimé par 1 personne

    2. ibonoco dit :

      Merci Colette de ton appréciation à propos de ce texte qui traite d’un problème de société que l’on cache parfois.
      Très bon jeudi 😊
      Ici, à Lyon le printemps est arrivé en avance mais le matin, il gèle encore légèrement

      Aimé par 1 personne

  9. Domi Amouroux dit :

    Un texte dérangeant, mais très juste. Triste spectacle de la personne qui boit trop et ravage sa vie autant que celle de son entourage.

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Merci Dom. C’est vrai que ce texte peut déranger. C’est un sujet sociétal que l’on ne traite pas si souvent que cela. Et il est vrai également que la personne atteinte de cette maladie est la première victime. Les conséquences ensuite sur son environnement sont catastrophiques et peuvent toucher plusieurs générations.

      Aimé par 1 personne

  10. juliette dit :

    c’est très bien à toi John d’avoir abordé avec ton texte très touchant cette maladie encore tabou quoique fortement répandue …
    j’en ai parlé aussi quelquefois sur mon vieux blog mais de façon moins dramatique …
    Bon début de printemps 😊

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Merci Juliette. Tu as raison, c’est une maladie encore tabou mais très répandue. C’est notamment la raison qui m’a fait écrire ce texte.
      Excellente journée Juliette

      Aimé par 1 personne

      1. juliette dit :

        oui , et je sais aussi de quoi je parle John ma maman en est morte il y a 30 ans …

        Aimé par 1 personne

        1. ibonoco dit :

          Juliette,
          Si j’ai réouvert des plaies, je te prie de bien vouloir m’excuser. Et je te remercie de m’avoir fait part des circonstances du décès de ta maman.
          Malheureusement, j’ai bien connu également ce problème qui ravage tant de familles et laisse derrière lui pendant des années beaucoup de souffrance.

          Aimé par 1 personne

      2. juliette dit :

        tu n’as pas rouvert ma plaie , pas d’inquiétude John, elle est là depuis ces années et c’est bien pour moi d’en parler quelquefois !

        Aimé par 1 personne

        1. ibonoco dit :

          Merci Juliette.
          J’ai besoin également d’écrire sur ce sujet de temps à autre.

          J’aime

  11. gibulène dit :

    quelle souffrance ! un texte qui me touche parce que j’ai failli tomber dans le panneau il y a des années de cela 😦 il y a un infime espace de liberté et un mur de volonté avant de sauter dans le gouffre parfois.. et toujours un fond de solitude en arrière plan, justifié ou pas……….. Il est bon de mettre des mots sur les maux. Bonne journée John

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Bonjour Hélène,
      Il est très facile de tomber dans le panneau. Cela va très vite. Le cas échéant, la vie devient un enfer pour toute la famille, une descente infernale, des vies perturbées et un isolement complet.
      Bonne journée Hélène

      Aimé par 1 personne

  12. Une troublante inspiration de la chanson au lecteur , qui trace le portrait d’une mère alcoolique. Comme tu dis si bien dans ton commentaire à Hélène :  » un enfer pour toute la famille  »…à différents degrés.
    Dans certains cas ça commence sournoisement et peu à peu l’addiction s’installe. Il y a beaucoup d’alcooliques dans mon entourage. Tout part, encore une fois, de la souffrance.
    Heureusement certain(e)s s’en sortent.
    John, ton texte est admirablement bien écrit…!

    Mes amitiés
    Manouchka

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Manoucka, je te remercie de tes compliments à propos de la rédaction du texte.
      Tout part effectivement de la souffrance et parfois, cette dernière explique la maladie mais n’excuse pas
      la violence, le mensonge et tous ces moments de vie gâchés… Et le temps passe, passe et l’on finit par se perdre soi-même en espérant des lendemains meilleurs…
      Je suis vraiment touché par ton commentaire et ta bienveillance.
      Amitiés et excellente soirée
      John

      Aimé par 1 personne

      1. Oui…C’est très difficile pour l’entourage. Al-anon ( adultes ) et Alateen ( jeunes )
        sont des groupes d’entraide, issus du mouvement AA ( Alcooliques Anonymes ), pour aider les membres de la famille, victimes de parents ou conjoints alcooliques. Mon père a rejoint le groupe AA.
        Merci John…Excellente soirée également.
        Amitiés.
        Manouchka

        Aimé par 1 personne

        1. ibonoco dit :

          Merci Manoucka,
          Je ne connaissais pas ce groupe de parole.
          Le temps a passé pour moi, j’écrirai de temps à autre car c’est un sujet qui touche beaucoup de monde et que l’on peut aider ou éclairer. Et je donnerai l’information à des Alaaten.
          Amitiés
          John

          Aimé par 1 personne

        2. Merci John…Oui, le temps a passé pour moi aussi…Aujourd’hui, mon père est DCD et je n’ai que de bons souvenirs de lui et son courage qui nous a guéris.
          Bonne soirée
          Mes amitiés
          Manouchka

          Aimé par 1 personne

        3. ibonoco dit :

          Merci Manoucka de m’avoir fait part de quelques souvenirs. Je suis heureux pour toi qu’aujourd’hui tu aies pu garder de bons souvenirs.
          Du courage, il en faut pour affronter les vicissitudes de la vie.
          Je te souhaite une excellente soirée.
          Amitiés
          John

          Aimé par 1 personne

  13. Solène Vosse dit :

    L’alcoolisme est une maladie. Une grande souffrance. Et c’est pour cela que la guérison peut être longue et difficile. Il faut prendre le mal à la racine.
    C’est terrible dans la mesure où souvent cela fait beaucoup de dégâts autour. Et peut detruire toute une famille.
    Le texte est terriblement bien écrit. Et juste surtout. Bien sur ce qui est décrit peut déranger certaines personnes. Il peut faire mal à d’autres. Il ne peut en tout cas pas laisser indifférent. C’est une réalité, il ne faut pas se leurrer. On ne vit pas dans un monde de bisounours. Donc c’est bien de la montrer cette realité-là.
    Et surtout surtout, l’important, c’est de comprendre qu’il s’agit d’un mal profond. Et que la personne qui en souffre n’a pas choisi ça.
    Belle nuit, John. A demain.

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Bonjour Solène.
      Tu as raison de rappeler toi aussi que l’aloolisme est tout d’abord une maladie aux conséquences ravageuses et sur le malade, mais aussi sur toute sa famille. Ce sont des centaines de drames qui se jouent chaque jour derrière les murs de beaux de foyers.
      Et l’impuissance de l’entourage familia face à ce fléau est souvent juste le début d’une longue marche vers l’enfer…
      Alors, Solène, je te remercie également de tes mots justes à propos de tes impressions sur ce texte. J’en avais écrit un autre il y a quelques mois ( Quand la violence devient silencieuse…) sur le même sujet.
      Je te souhaite une très belle journée Solène.

      J’aime

  14. Edmée dit :

    On sent bien l’ivresse et de décrochage de tout. Mais c’est atroce, vraiment atroce. (à imaginer)

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Merci Edmée. Oui ce fut atroce. Tragique et atroce.

      J’aime

  15. Hédoné dit :

    C’est très beau. Cette danse macabre.
    J’aime le choix des mots et les images créées. Une tragédie tout en poésie.

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      Merci Hédoné d’avoir apprécié. Il y a de la poésie, c ‘est vrai.
      Excellente soirée 😊

      J’aime

  16. J’ai mis un « j’aime » mais en fait ton texte me laisse beaucoup de tristesse … J’imagine trop bien ce que peut ressentir l’enfant devant ce spectacle et encore tu ne dis pas tout il me semble. Merci de ce texte John, si touchant …

    Aimé par 1 personne

    1. ibonoco dit :

      On ne dit jamais tout. Tu as raison. Il faudra peut-être beaucoup de textes.
      Merci Catherine.
      Amitiés
      John

      Aimé par 1 personne

    2. ibonoco dit :

      A bientôt Catherine 😊

      Aimé par 1 personne

      1. Il y a peut être certaines choses que l’on ne peut pas dire …
        Â bientôt John 😊

        Aimé par 1 personne

        1. ibonoco dit :

          Oui Catherine. On ne peut pas tout dire, c’est certain.
          Excellente soirée.😌
          Amitiés
          John

          Aimé par 1 personne

Laisser un commentaire