Partie III
Hiver 1986, un jeudi soir dans une boîte de l’Ouest lyonnais aux environs de 23 heures 30.
…Tout dans l’air fleure bon cette sensation d’extrême liberté, du « ce soir tout est possible » around midnight, du « ce soir, j’irai danser le mambo au Royal Casino, sous les lambris rococo, la nuit viendra me faire oublier… c’est l’amour à la plage…aou cha-cha-cha ». Tout est déjà en suspension dans l’air… et en nous : la nuit et ses mystères, les rencontres improbables d’une seule fois, une égalité sociale éphémère qui s’évapore au petit matin avec la chaleur des premiers rayons de soleil, un sang qui bout dans nos veines et diffuse sa chaleur dans tout notre corps. Tout est déjà inscrit dans notre ADN depuis longtemps : nous sommes programmés pour respirer et vivre, apprendre à vivre, …, faire l’amour, …, et tester les différentes facettes du jour et de la nuit. Et la nuit ? Et cette nuit ? On a vraiment l’impression d’y entrer comme si l’on pénétrait dans un autre monde, un monde ouvert sur l’éternité, un espace hors du temps où il n’y aurait plus aucune limite, où seul compterait l’humeur de l’âme et les désirs de l’esprit, et de laisser à la porte nos oripeaux, préjugés et autres ressentiment. Voilà la nuit qui nous tend chaleureusement les bras, le temps d’une sortie son monde nous offre son hospitalité avec ses rites, usages et mirages.Voilà la nuit qui nous appelle à elle. Voilà la nuit…
Certes, on vient de rater le défilé mais après tout, est-ce bien grave ? on s’en fout du défilé, des mannequins, du monde de la cosmétique, du strass et des paillettes ; on aurait bien aimé voir les déambulations plus ou moins maladroites de ces grandes gigues bien nippées ou de ces grands mecs parfois baraqués ou androgynes… mais en fait, on s’en fout. On préfère en parler, discuter, échanger et essayer de mieux comprendre cet univers qu’est celui de la mode avec ceux-là même qui triment sur les podium un jeudi soir dans une boîte de nuit grand public de l’Ouest lyonnais. Mais rater un défilé, c’est n’est pas tout à fait la même chose, et il n’est pas insurmontable d’en voir un autre surtout s’il se déroule sur une scène locale et amateure. Et rien ne vaut l’expérience souvent enrichissante d’une discussion, improbable, informelle et détendue, autour d’un verre, entre gens qui étaient destinées à ne jamais se rencontrer. Voilà la nuit… et voilà une feuille de route se profilant pour la suite de la soirée. Alors, allons boire un verre ! et retrouver notre copine que nous apercevons non loin du bar au milieu d’un groupe d’autres mannequins.
A présent, le DJ passe un morceau du groupe Propaganda, p: Machinery, la new wave/synthpop allemande s’invite à la soirée. Le son futuriste des synthétiseurs et des claviers envahissent l’atmosphère qui aussitôt nous téléportent dans un avenir proche – la house music vient juste d’éclore à Chicago et la techno à Détroit. Au bar, notre amie star d’un soir nous fait signe et nous présente à ses pairs. Parmi ces derniers, il y en a un qui est un ami intime de mon couple d’amis. Il est d’origine béninoise. Au cours de la discussion, on apprend qu’il a un petit problème de validité avec sa carte de résident ; mais ce soir, pour défiler, un tampon administratif en plus ou en moins sur une carte n’aura pas été un obstacle insurmontable à l’expression de art. Et de surcroît la scène d’une boîte de nuit n’est pas une file d’attente d’une préfecture…
On apprend au détour de quelques phrases difficilement audibles à cause d’une musique un peu forte, du bruit des verres qui s’entrechoquent sur le comptoir, du brouhaha d’autres discussions dispersées de-ci de-là autour de nous que toute sa famille vit en France et est naturalisée sauf… lui ! Mais lui ? Il n’y arrive pas pour le moment, il lui manque certainement quelques documents administratifs. Alors, il va renouveler ses demandes. Il va persévérer, il sera patient. Il persévérera c’est certain… mais son histoire le conduira sur un autre continent.
Bien des années plus tard, mon ami propriétaire de la R5 orange m’apprend que notre mannequin béninois est à l’affiche du film Gladiator avec Russell Crowe. Il vient de le rencontrer au Ritz de Paris à l’occasion de la promotion de ce long métrage. Belle preuve de persévérance ! Le grand rêve américain existe encore pour les plus talentueux ou les plus chanceux. Et Djimon H., lui, il en a eu de la chance et du talent pour avoir tourné dans Amistad de Steven Spielberg avec Morgan Freeman puis dans Gladiator… Un tampon administratif en plus ou en moins sur une carte n’aura pas été un obstacle insurmontable pour traverser l’Atlantique ni pour aller à la rencontre de son destin.
Et nous, on attend encore la nuit, la prochaine nuit, la prochaine vague qui nous portera au-delà de la routine d’un quotidien bien terne et monotone. On attend mais au lieu d’attendre, peut-être aurait-il suffi d’oser ?
« On attend mais au lieu d’attendre, peut-être aurait-il suffi d’oser ? » peut-être… 🙂
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Oui, il faut oser parfois peut-être plus que trop rationaliser… enfin c’est ce que je me dis même si le temps a passé depuis les années 80. 😊
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Un beau texte Ibonoco
Il suffit d’oser? alors osons.
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Oui, je crois que souvent, on n’ose pas ou ne crois pas assez.
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je pense qu’il vaut bien mieux ne pas trop croire et être à la bonne place plutôt que de « c’la péter plus haut » qu’on peut aller.
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Oui, c’est à peu près mon point de vue.
😊
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Dans ce troisième volet de l’histoire, différent des deux autres plus sobres, plus contenus qui restaient un sobres, contenus! Il y a comme un relâchement de tension peut-être parce que c’est la nuit et que dans la nuit tout est magique, tout est permis. C’est un vrai plaisir que cette jeunesse que vous faites s’exprimer avec beaucoup de talent, de fraîcheur, de spontanéité. La narration est vivante, joyeuse, énergique, effervescente, insouciante. C’est la jeunesse avec sa furieuse envie de vivre qu’elle fait savoir bruyamment, son exubérance aussi que vous traduisez superbement. C’est la jeunesse impatiente, exigeante, parfois maladroite mais si attachante, si tendre, si fragile, si entière, si touchante aussi ! On la découvre, on la regarde vivre, on est heureux de la voir vivre, mais elle, elle n’en n’a pas toujours conscience… Un très beau texte Ibonoco au rythme enlevé, léger et dense tout à la fois, et où la transcription de ces instants de joyeuse insouciance, de bonheur est si fidèle, si vivante, si nostalgique. Une mention particulière pour Russell Crowe magistral dans son rôle de gladiateur! Quant au Béninois, il a l’air de s’en être bien sorti malgré ce tampon administratif dont sa vie dépendait, un décalage très heureux avec Amistad! Merci Ibonoco pour cette belle plongée rafraîchissante dans les nuits de votre jeunesse, de notre jeunesse.
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C’était la dernière partie d’une nuit qui a commencé il y a déjà bien longtemps. Cela me fait du bien de me la rappeler de temps à autre. Vous décrivez parfaitement les ressorts de la jeunesse qui animaient les jeunes sur nous étions.
Excellente fin d’après-midi
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Quelques couacs dans mon commentaire que je corrige: « Dans ce troisième volet de l’histoire différent des deux autres plus sobres, plus contenus, il y a comme un relâchement de tension peut-être parce que c’est la nuit et que dans la nuit tout est magique, tout est permis. »
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Merci de ces précisions.
En ce qui concerne les couacs, rien de bien grave…
Excellente fin d’après-midi.
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C’est le rideau qui tombe sur le dernier acte?
Oui il est si bon de se rappeler l’intensité de ces temps qui jamais ne s’oublient. Merci Ibonoco et très belle fin d’après-midi aussi
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Il peut toujours y avoir une suite…
Il y avait une intensité, une flamme en chacun de nous. Parfois, elle se rallume le temps de quelques lignes.
Merci à vous aussi.
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C’est vrai, il suffit de si peu parfois, rester ouvert, attentif, réceptif
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La nuit est chaude !
De la capitale des Gaules à l’arène de Maximus, c’est un glorieux parcours que fut celui de cet ami Béninois ! Il force le respect, invite à la réflexion, se gorge de promesses que nous, frileux sédentaires, observons avec admiration.
Bien beau texte, le suivant promet d’être sauvage ! 😉
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Merci du compliment. C’est un très beau parcours en effet que celui de cet acteur.
Excellente soirée 😊
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Bonjour
Je te cite dans un de tes commentaires : » Il y avait une intensité, une flamme en chacun de nous. »…Et bien, merci John de l’avoir rallumée pour nous…
Une soirée enflammée de cette quête de la jeunesse, prête à se rendre au bout du monde pour réaliser son rêve…Je dis : » Bravo » à cet ami qui a osé sauter le mur de ses doutes pour atteindre son étoile…
Cette finale de ta série m’a laissée rêveuse…
Avec cette passionnante histoire d’une soirée inoubliable, ça ne pouvait faire autrement …
Merci John
Bonne soirée
Amitiés
Manouchka
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Merci Manouchka de ton appréciation à propos de cette flamme qui anime génération après génération la jeunesse éternelle de tant d’adolescents et d’apprentis adultes. Parfois, au détour d’un mot entendu, d’un morceau, d’une phrase lue ou écrite, cette flamme se rallume car elle ne s’est jamais réellement éteinte. Et puis, il y a d’autres fois, toutes ces autres fois où elle n’est plus là…
Je pense sincèrement que l’on peut et l’on doit continuer de rêver, et avoir de l’ imagination si l’on veut vivre demain encore avec une petite étincelle en nous. C’est peut-être l’un des secrets de la jeunesse de l’âme.
Excellent soirée Manouchka
Amitiés
John
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Oui…nous devons l’entretenir cette flamme…
Évidemment elle se manifestera différemment à mesure que le temps passera, et que nos intérêts auront changé , ainsi que nos rêves, propulsés à la force de notre imagination et nos désirs de nouveaux projets…
Sincèrement, je crois que cette flamme ne s’éteint jamais, malgré la sensation
de son absence qui vient parfois nous faire douter… ressentir un vide…
C’est alors que l’Âme qui est éternelle par nature, par essence, nous tape sur l’épaule, avec à la main un cierge allumé, et qui vient nous transmettre ce feu dont nous avons tant besoin, en rallumant cette bougie, de nos rêves, de nos passions….justes endormis…!
Merci John pour ton commentaire …Ce fut un plaisir d’échanger avec toi…
À bientôt….
Bonne nuit
Amicalement
Manouchka
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Ce fut également un plaisir.
Excellente journée Manouchka
Amitiés
John
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La musique, les ambiances…. Vous avez bien rendu cette époque. Vous aviez pris des notes alors?
Et bravo à cet acteur qui garde une vraie présence face à Russell Crowe (qui est un de mes acteurs préférés depuis LA Confidential).
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Non, je n’avais pris aucune note. C’est simplement une soirée qui m’a marqué. C’est une soirée où l’on s’est tous croisés chacun poursuivant son chemin de vie ensuite.
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Très bon que cela !
Agréable mercredi !
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Bonjour Colette.
Je te souhaite également un agréable mercredi.
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