La déchirure…

 

 

La déchirure ? Non, ce n’est pas cet excellent film des années 80 avec les acteurs Sam Waterston, Haing S. Ngor et John Malkovich dans le rôle de reporters témoins de la prise de Phnom Penh par les Khmers rouges et de la répression meurtrière que ces derniers mirent impitoyablement en place. Répression d’ailleurs dont le titre original « The killing fields » rend bien compte quand on le traduit en français par « Les champs de la mort ». Pour autant, c’est tout de même ce que ressentent les deux protagonistes lorsque Sidney Schanberg, reporter américain, a la vie sauve grâce à son assistant Dith Pran et que l’un peut rentrer aux Etats-Unis alors que l’autre, Cambodgien, devient prisonnier des Khmers rouges, interné dans un camp, risquant d’être exécuté à chaque instant. Les conditions de cette séparation et des liens qui les unissent produisent alors en eux une onde de choc, un tsunami émotionnel emportant et broyant dans la douleur chacune des cellules de leur corps et de leurs pensées.

Cette douleur, elle est infinie, et chacun peut la ressentir dans sa chair jusqu’au plus profond de son être. Elle est l’étape ultime avant l’effondrement physique que pourrait produire l’annonce d’une disparition subite. La déchirure est ultra-violente et sans pitié pour les êtres sensibles. Elle t’arrache le cœur en un millième de seconde à la façon d’un sparadrap que l’on retirerait brutalement, d’un seul coup, emportant avec lui les poils qu’il recouvrait avec quelques bouts de croûtes de sang séché. Ton âme part brutalement en lambeau alors qu’elle flottait quelques instants auparavant dans un état d’apesanteur total accoudée au comptoir de l’Eden en compagnie de deux ou trois anges gardiens. C’est un choc absolu, un K.O., une situation que l’on ne comprend pas, qui échappe à l’entendement mais… qui est par trop réelle. La déchirure se vit à plusieurs, à deux ou seul, peut revêtir plusieurs formes, s’incarner dans différentes situations mais jouera toujours sa pièce avec le même décor : « dans les champs de la mort », car c’est une tragédie…

Les cheveux noirs ondulés, le regard perçant derrière une paire de lunettes, c’est une post-ado intelligente avec un cœur gros comme le soleil, fragile comme de la porcelaine et une générosité grande et belle comme un ciel bleu d’été dans le Var. C’est une belle personne à l’âme sensible et l’humanité affirmée. Mais cette une jeune personne qui croit déjà connaître l’Univers et les Dieux parce qu’elle commence à peine à se connaître elle-même. Bourdieu, Boudon, Socrate et tous leurs autres potes rencontrés en philo ou en cours de socio auront au moins trouvé un public attentif… Mais c’est encore un enfant, une fille qui ne demande qu’à vivre, à être heureuse et qui te glisse entre les doigts tandis que le sablier est retourné et que son sable fin décompte le temps d’une relation que tu voudrais parfaite. « Ne cherchez pas la perfection, disait l’autre, vous ne l’atteindrez jamais ! »

La perfection… c’est l’histoire d’un père qui comme tous les parents sait qu’il ne pourra l’atteindre cette perfection. Alors il fait ce qu’il peut même si faire ce que l’on peut ne sera jamais suffisant dans le regard de son enfant. Ce sont des années et des années d’une implication sans failles pour tenir hors de l’eau sa petite tête que la marée des événements auraient pu emporter plus d’un million de fois. C’est un dialogue qui ne passe plus par les mots. Ils sont devenus trop volatiles changeant de sens à chaque nouvelle génération, creusant ainsi le fossé de l’incompréhension.

Il n’a plus « les mots pour le dire » ni même la manière. A présent, tout lui échappe et un goût amer monte en lui. Ses yeux, parfois, brillent tout illuminés par la peine et la douleur, sourde, rentrée, cachée. C’est un ras-le-bol, et le ras-le-bol du ras-le-bol de porter à bout de bras une charge mentale qui un jour pèsera un peu trop sur ses bras et lui les fera baisser en signe de capitulation.

Mais il le sait bien que même si l’enfant est généreux, il est aussi parfois égoïste et ingrat – il n’a pas oublié sa propre enfance. Alors, son amour pour ses enfants, ses accompagnement et investissement sans failles, son regard attendri, ses problèmes de fric, son côté bougon et râleur, c’est comme le dit la chanson : « Mais quand on a juste quinze ans, on n’a pas le cœur assez grand, pour y loger tout’s ces chos’s-là… » Alors, il continuera d’accompagner et de porter en espérant que jamais ne soit dit un jour – par ses enfants : « Maintenant qu’il est loin d’ici, en pensant à tout ça, j’me dis : « J’aim’rais bien qu’il soit près de moi » Papa ».

28 commentaires Ajouter un commentaire

    1. ibonoco dit :

      Merci. Excellent après-midi

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  1. Encore un fois un très beau texte. Merci.

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    1. ibonoco dit :

      Merci à vous également de me laisser vos impressions.

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  2. jamadrou dit :

    Un texte criant sa vérité
    Il y a une dizaine de jours sur la tombe d’un ami pas si vieux que ça, son fils pas si grand que ça, a dit ces mots « J’aim’rais bien que tu sois encore là près de moi Papa , petite Rose n’a qu’un an et son papi lui manque déjà. »

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    1. ibonoco dit :

      Merci de ton témoignage. Rose a de la chance d’avoir aujourd’hui des amis.

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      1. jamadrou dit :

        ce joli bébé a surtout la chance d’avoir un bien gentil petit papa qui dans son chagrin a compris la grande chance qu’il avait eue auprès du sien…(transmission d’amour))

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        1. ibonoco dit :

          Merci. La transmission est essentielle. Et surtout, ne jamais casser le lien.

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        2. ibonoco dit :

          Et merci pour le papa.

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  3. Il y a des expressions de la vie telle celle-ci dont la charge émotionnelle est si intense, si souveraine qu’elle brouille les mots, les rend trop petits, trop étroits, trop étriqués pour la contenir, la dire… alors on emprunte à d’autres leurs mots pour l’exprimer… ainsi J.R. Huguenin parle de l’intensité d’une émotion qui n’est pas fonction de son objet mais de la conscience qu’on en a, ou de Marguerite Duras pour qui l’écriture, c’est le train qui passe par notre corps. Le traverse. Elle rajoute que c’est de là qu’on part pour parler des émotions difficiles à dire, si étrangères et qui néanmoins s’emparent de nous. Votre texte est bouleversant et me touche très profondément Ibonoco. Merci

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    1. ibonoco dit :

      Merci d’emprunter à d’autres. J’aime beaucoup ce que dit Duras et même Huguenin à propos de la conscience que l’on a de notre émotion. Je vais méditer longuement ces réflexions riches d’enseignements
      Excellent après-midi et c’est moi qui vous remercie

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  4. Très bel après-midi à vous Ibonoco

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  5. Quel beau texte ! profond et touchant. Merci pour ce partage, Excellent weekend à toi 🙂

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    1. ibonoco dit :

      Merci. Je suis touché.
      Très bon weekend

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  6. Ta plume porte du fruit John…
    Oser ce laisser-aller à tes élans émotifs est un voyage au coeur de l’Amour finalement…
    Je trouve ça beau …
    Merci

    À tout bientôt
    Manouchka

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    1. ibonoco dit :

      Merci Manoucka.
      😊

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  7. colettedc dit :

    Quel magnifique partage !
    Bon week-end.

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    1. ibonoco dit :

      Merci Colette. Bon week-end 😊

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  8. charef dit :

    Texte poignants et d’actualité. Merci de le partager.

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    1. ibonoco dit :

      Merci Charef et excellente soirée.

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  9. paulineglld02 dit :

    Bouclés*

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  10. paulineglld02 dit :

     » Mais quand on a juste quinze ans, on n’a pas le cœur assez grand, pour y loger tout’s ces chos’s-là… » à tout âge on ne cesse pas d’aimer encore moins ses parents, son papa et quoi que que l’on puisse penser, un enfant peut comprendre les peines et les douleurs, les emcombres et les malheurs des adultes, il est certes peut-être un peu égoïste mais en face, est-il compris ? On espère, on aimerait que son papa soit là, tout près de nous et pour toujours alors on oublie bien vite les rancœurs passées car il faut profiter des bons moments et de ceux qu’on aime avant que le pire n’arrive. Seulement parfois on a peut-être besoin d’espace, d’une crise pour se retrouver car rien ne va plus mais on ne cesse jamais d’aimer.
    C’est un beau texte touchant que vous nous avez partagé là et qui je pense en touchera plus d’un par sa vive et poignante émotion qu’il transmet. Merci

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    1. ibonoco dit :

      Merci Pauline de laisser des impressions aussi complètes et touchantes. Celles-ci me donnent à penser qu’en ce qui vous concerne mon texte vous renvoie à une expérience très personnelle. J’apprécie ci donc également cette façon de parler de vous au travers de ce texte.
      Merci pour ce riche échange.
      Amitiés
      John 😊

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