La petite fille qui pleure…

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La petite fille unique qui pleure a perdu le chemin de sa maman. Dans ce supermarché de Strasbourg, en ces temps de froids polaires que les années soixante-dix connaissent, la petite fille unique aux yeux verts a les yeux rougis par les larmes. Elle a perdu le chemin, elle pleure. Elle l’a juste perdu et pourtant sa maman était juste dans un rayon à deux pas d’elle…

La petite fille unique pleure à chaque rentrée scolaire de son école quai Zorn. La petite fille unique qui pleure se fait toujours molester par ce garçon grassouillet plus grand qu’elle. Il lui lance violemment des marrons à la figure et sur ses petites jambes de petite fille ; ça fait mal, ça fait très mal quand on est une petite fille – unique et que l’on ne sait pas encore se défendre. Alors, la petite fille unique pleure. Chaque année, elle appréhende le moment de la rentrée et la volée de marrons qui l’attend. Mais avec le temps, du courage et beaucoup de détermination, la petite fille unique qui pleure ne pleure plus. Elle a fini par gravir toutes les années de cette école, de 5 à 17 ans, comme on gravit des échelons dans une carrière : pas à pas, petit à petit jusqu’au bouquet final du « bachot » comme disait son grand père Jacques bien aimé.

La petite fille unique qui pleure se rappelle du départ de Muriel, sa meilleure amie, alors qu’elle avait 12 ans. Elle lui confia sa petite tortue californienne en guise de confiance et d’amitié, celle-ci périt peu de temps après… Muriel, c’était comme Juliette, une fille de famille éclairée et ouverte d’esprit, nous étions très complices, dans l’entraide permanente. Parfois, c’est elle qui pleurait et que je consolais, tant sa mère, infirmière de son état, était sévère et prompte à la « correction » que les lois d’aujourd’hui réprimeraient. Muriel, Juliette, où êtes-vous ?

La petite fille unique qui pleure a très vite compris que le beau regard bleu de son papa, si exigeant en terme de vérité pour elle, cachait des univers inconnus que seules ses années passées dans une unité d’élite de parachutiste pendant la guerre d’Algérie pouvaient expliquer. Elle a souvent vu sa maman pleurer à cause de ses mensonges et de la vie qui lui était imposée ; et quand il est parti pour toujours une nuit de juillet dernier et qu’elle a lu son testament, elle a pleuré encore tant elle s’est sentie abandonnée. Mais promis, juré, ce sera le dernier moment de vérité.

La petite fille unique qui pleure a cru qu’aimer un petit garçon qui pleure et qui vient de loin leur permettrait de grandir et sécher leurs larmes ensemble .Elle a cru qu’ ils déplaceraient des montagnes et s’aimeraient toute la vie ; et des montagnes, elle a souvent, seule, dû les déplacer. Au gré des années, l’amour s’est asséché ; au gré des années, les larmes ont recommencé…

Aujourd’hui, la petite fille unique qui pleure est devenue une grande fille unique qui n’a pas de frères, qui n’a pas de sœurs et qui n’a plus son papa.

Aujourd’hui, la grande fille unique voudrait rire de tout, aimer et être aimée. Elle aime tant la vie, elle aime tant donner. Et elle porte tant d’amour en elle ! Mais la grande fille unique se sent souvent seule au fond d’elle-même. Souvent la nuit, dans le silence de son lit, quand la ville est endormie et qu’elle ne l’entend presque plus, elle a mal. Elle a mal de se sentir seule, de ne pas avoir une famille plus nombreuse, de ne plus pouvoir dire : « papa, je t’aime… ».

Un commentaire Ajouter un commentaire

  1. xynop66 dit :

    Un article bien écrit et surtout très touchant … Bravo à Ibanaca !

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